Grands Zhéros de L'Histoire de France
affamés, pour finir, pour la plupart d’entre eux, disloqués par les tempêtes de l’Atlantique ou échoués sur les côtes d’Irlande. Au total, seuls soixante-six navires dans un état pitoyable parviennent à regagner l’Espagne. La moitié des hommes sont morts ou portés disparus. Chez les Anglais, on peut maintenant pavoiser : Medina Sidonia fait les frais de ce triomphalisme. Les récits anglais le traitent de lâche et de bouffon, puis relatent complaisamment qu’il avait fait renforcer les cloisons d’une pièce de son bateau pour s’y terrer pendant les combats.
Pour l’Espagne, c’est un échec cuisant. Cette catastrophe va influencer pour longtemps la physionomie de l’Europe. Mais question plus cruciale à nos yeux que le sort de l’Europe de l’époque : que devient Medina Sidonia ? Il sort indemne de cette tragique mésaventure et devra vivre jusqu’à sa mort, plus de trente ans plus tard, avec le sentiment d’être responsable d’une débâcle qu’il avait pourtant bien annoncée. Chose curieuse, Philippe II va manifester une grande placidité face au désastre, en ne prenant ni sanction ni représailles à l’encontre de son « amiral de bateau-lavoir », (expression de circonstance empruntée au capitaine Haddock) ; il va même le traiter avec la plus grande indifférence, ce qui, sans nul doute, fut plus humiliant encore pour notre zhéro. Le roi portait beau, mais à la cour d’Espagne nul n’ignorait qu’il valait mieux bannir définitivement des conversations l’épineuse question de la conquête de l’Angleterre !
Selon l’historien Philippe Masson, le souverain espagnol était convaincu de mener une guerre sainte : « Puisque c’est pour sa cause, Dieu nous enverra du beau temps », disait-il. Ayant déduit du déchaînement des intempéries que Dieu n’était pas favorable à son projet, il pouvait difficilement imputer à Medina Sidonia, simple mortel, ce dont Dieu en personne était responsable ! Par ailleurs, peut-être Philippe II eut-il quelque scrupule à reprocher à un subordonné une pusillanimité et une irrésolution dont lui-même avait fait preuve en d’autres circonstances : à la bataille de Saint-Quentin contre la France en 1557, il était en effet arrivé trois jours après le début de la bataille, avait passé davantage de temps confit en dévotion que sous les murs de la ville assiégée et, pire encore, alors qu’il pouvait pousser son avantage et marcher sur Paris, il s’entêta à rester sur place. À cette occasion, la bravoure de l’amiral de Coligny qui tenait le siège sauva la France du désastre et fit manquer à Philippe II une chance historique de faire de notre pays une nouvelle colonie espagnole !
Que Medina Sidonia se console en son terne paradis des « incriminables ». Certes, son nom ne dit plus rien à personne aujourd’hui ; mais Philippe II, déjà surnommé de son vivant « Rey Paplaro », le roi paperassier, est quant à lui entré dans l’histoire affublé du qualificatif peu flatteur de « roi Prudent » : « Le roi Prudent, par scrupule, se noie dans un océan d’encre, de sable à sécher et de papier (10) . »
En point d’orgue au récit de la piteuse équipée maritime qui vient d’être évoquée, une précision s’impose : le mot « invincible » n’a jamais été employé par les Espagnols pour qualifier leur flotte. Ce sont les Anglais qui l’ont utilisé et popularisé, afin de donner à leur victoire un lustre plus éclatant encore. De son côté, Philippe II d’Espagne, roi sombre et taciturne qui n’aimait rien tant que la solitude de son cabinet de travail, allait avoir tout loisir d’y méditer jusqu’à sa mort en 1598, l’adage bien connu des vieux loups de mer : « Mieux vaut un bon marin sur un mauvais bateau qu’un mauvais marin sur un bon ! »
Après avoir complaisamment accablé nos voisins espagnols en la personne de leur grand zhéro des mers océanes, partons maintenant à la pêche aux zhéros de la marine française. Quels gros poissons ramènerons-nous dans nos filets qui soient assez mauvais pour rivaliser avec Medina Sidonia ?
Au risque de me faire quelques ennemis dans la « Royale », force est de reconnaître que la France n’a jamais été une grande puissance maritime. Certes, quelques grandes figures de marins et de découvreurs français sortent du lot : Jacques Cartier bien sûr. Mais aussi Surcouf, le corsaire qui affirma la présence de la France
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