Grands Zhéros de L'Histoire de France
Dans son récit de voyage, il justifie son attitude en ces termes : « Monsieur de Saint-Allouarn, faisant attention à l’état de ma mâture, me conseilla de rester dans la position où j’étais. » En d’autres termes, s’il ne débarque pas, c’est sur l’amicale sollicitation de son second et en raison d’un vague problème de mât endommagé !
D’un naturel optimiste, Kerguelen baptise l’île sur laquelle sera effectuée une première tentative de débarquement « île de la Fortune », du nom de son bâtiment. Plus tard, avec une lucidité qui décidément semble faire défaut en toute occasion aux Français, le grand explorateur anglais James Cook estimera plus pertinent de nommer l’archipel en question « îles de la Désolation ». Mais nous n’en sommes pas encore là et Kerguelen a bon moral : la découverte du continent austral, tout de même, ça n’est pas rien !
Il envoie donc deux enseignes de vaisseau, de Boisguéhenneuc, second du Gros Ventre, et de Rosily, second de la Fortune , exécuter un périlleux débarquement au fond d’une petite baie. Les jeunes gens prennent possession du territoire au nom de Louis XV, mais quand ils reviennent : surprise ! la Fortune a disparu, seul reste le Gros Ventre ! Sans attendre le retour du canot, sans convenir de rien avec le Gros Ventre , Kerguelen a mis les voiles. Le Gros Ventre va le chercher pendant une semaine, faire signaux sur signaux, en vain. Kerguelen a regagné seul l’île de France, puis Brest, où il parvient le 16 juillet 1772.
S’il est parti toutes voiles dehors, c’est qu’il veut annoncer au plus vite sa merveilleuse découverte à qui de droit. Dès son arrivée à Brest, il écrit donc un petit billet pour l’officier de port : « J’ai fait la découverte d’un continent magnifique », écrit-il ; puis il se précipite à Compiègne où il rencontre Louis XV le 25 juillet et où, nous dit La Pérouse dans ses mémoires, il est reçu « comme un nouveau Christophe Colomb » (12) .Fièrement, l’ambitieux Kerguelen présente la France australe dans son rapport comme la cinquième partie du monde et fait à Louis XV un exposé édifiant sur le mode « Perrette et le pot au lait ». Il décrit les richesses dont regorge cette terre fertile, ce pays de cocagne où il suffira de se baisser pour trouver du bois, des diamants, des rubis… Aurait-il alors ajouté les veaux, vaches, cochons, poulets de la fable qu’il eût sans aucun doute été cru sur parole !
Il donne de ces lieux une image paradisiaque : « Le pays est très beau et très fertile, il est peuplé d’un grand nombre d’habitants d’une couleur noirâtre [et pour cause, ce sont des colonies de manchots] et de nombreux bestiaux [qui, hélas, ne sont pas des vaches à traire, mais bien des éléphants de mer vautrés sur les plages]. » Kerguelen conclut en ces termes son dithyrambe : « La France australe fournira de merveilleux spectacles physiques et moraux », montrant par là qu’il se fait déjà une idée assez précise de la beauté et de la moralité des pingouins !
À l’é poque, ce fut surtout ce tableau par trop flatteur de sa découverte qui lui fut reproché. À le lire, il paraît cependant évident que lui-même croyait vraiment ce qu’il disait. Gracié Delépine va même jusqu’à parler d’« autosuggestion ». Quoi qu’il en soit, sur le moment, tout le monde le croit. Louis XV, enthousiaste, le décore de la croix de Saint-Louis, lui accorde le grade de capitaine de vaisseau et lui confie une seconde expédition, afin qu’il pousse plus loin l’exploration des terres australes et qu’il y fonde un établissement. Deux imposants navires sont armés à cet effet, le Rolland et l’ Oiseau qui quittent Brest le 26 mars 1773. Dès le départ, ce nouveau périple est mal engagé : pour son agrément personnel et en infraction absolue avec le règlement de la marine, Kerguelen fait monter à bord sa maîtresse, une jeune fille nommée Louise Seguin, âgée selon les biographes de quatorze ou seize ans. Cette toute jeune femme va être à l’origine du scandale qui brisera la carrière de Kerguelen. Il la cache à bord puis, une fois qu’elle sera découverte, la fera passer pour la servante de l’une des passagères devant être débarquées à l’île de France.
Kerguelen aggrave son cas en chargeant à son bord de la « pacotille » – c’est-à-dire des marchandises sans valeur qu’il compte vendre à
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