Grands Zhéros de L'Histoire de France
dans l’océan Indien et dont les Anglais mirent la tête à prix. Il était apparenté par son trisaïeul au célèbre marin Duguay-Trouin. Surcouf était un héros pur sucre, d’une témérité sans pareille. Il arraisonna les navires anglais par dizaines sans jamais connaître de revers. Il était doté d’une force herculéenne, si bien qu’à la suite d’un pari avec des membres de son équipage il enfourcha un caïman et le « chevaucha » tout au long d’une plage ! Pas vraiment le genre Medina Sidonia à s’accrocher au bastingage au premier roulis ! Autres grands marins français : Jean Bart, La Motte-Piquet, Suffren, ou encore le grand La Pérouse, qui fit un tour du monde avant de s’échouer sur un récif de corail à Vanikoro (1788). On pourrait également ajouter à cette liste les noms de Bougainville, Dumont d’Urville ou Tourville.
Oui, nous eûmes quelques brillants marins et les velléités d’avoir une grande marine, en particulier sous le Premier Empire. Mais cette période ne fut-elle pas justement le théâtre des deux plus grandes défaites navales de l’histoire de la marine française : Aboukir et Trafalgar ? Nous y reviendrons, car il est temps à présent de pousser sur le devant de la scène les acteurs oubliés ou vilipendés des moments les plus « zhéroïques », autrement dit les plus médiocres de nos aventures aquatiques.
Le premier, dans l’ordre d’apparition : Kerguelen. Tout le monde connaît ce nom ou, plutôt, tout le monde connaît l’archipel auquel Kerguelen a donné son nom, mais on sait moins que le navigateur n’y mit jamais les pieds ! Nous nous pencherons ensuite sur le triste sort de l’amiral Villeneuve, coupable désigné du désastre de Trafalgar. Nous poursuivrons en évoquant le misérable capitaine Chaumareys, naufrageur dont le patronyme est injustement tombé dans l’oubli, alors que ce marin d’eau douce fut responsable d’une tragédie universellement connue, celle du radeau de la Méduse. Enfin, nous évoquerons à titre subsidiaire les cas du contre-amiral de Grasse et de l’amiral d’Estaing dont la nullité nous semble discutable.
Kerguelen et « son » archipel ?
Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec (1734-1797) est déjà un marin aguerri de trente-huit ans lorsqu’il part à la recherche du continent austral dont on suppose alors qu’il se trouve quelque part dans l’océan Indien. Ayant quitté l’île de France (actuelle île Maurice) le 16 janvier 1772 à bord d’un trois-mâts baptisé la Fortune , suivi de la gabarre le Gros Ventre , il aperçoit moins d’un mois plus tard des îles dont il pense, à vue de nez, qu’elles appartiennent au continent mythique. Il baptise aussitôt l’endroit du beau nom de France australe.
Mais, baptiser une terre inconnue, cela signifie à l’époque satisfaire un certain nombre d’obligations formelles, à commencer par mettre le pied sur la terre en question ! Il convient de déposer sur place une bouteille contenant un parchemin où l’on déclare par écrit prendre possession du lieu au nom du roi. Ce « dépôt de bouteille » est généralement suivi d’une salve de mousqueterie en l’honneur de la découverte, et, si l’on veut faire les choses bien et que l’on dispose du matériel requis, on clouera, bien en évidence sur quelque rocher, des plaques de cuivre mentionnant jour et année de l’exploit, état civil, pays d’origine des découvreurs et toute autre information jugée utile.
Or Kerguelen ne va pas mettre le pied sur la terre qu’il vient de découvrir, ce qui ne l’empêchera évidemment pas d’en vanter les nombreux mérites au roi Louis XV. À sa décharge, il faut reconnaître qu’accoster ces îles n’a rien d’une promenade de santé : la plupart du temps, la mer y est déchaînée, les vents violents, il y a une forte barre et une brume épaisse, d’immenses rochers abrupts de plusieurs centaines de mètres rendent tout débarquement hasardeux. À dire vrai, si Kerguelen pense bien avoir découvert le continent austral, c’est à peine s’il l’aperçoit ! Biographe de Kerguelen, Alain Boulaire résume cela avec esprit : « Il faut bien avouer que, lors du premier voyage, il n’a pas vu grand-chose de ses découvertes (11) . »
Notre explorateur reste donc au large. Par la suite, il fera porter le chapeau de sa propre passivité et de son retrait au second de l’expédition, un certain de Saint-Allouarn, capitaine du Gros Ventre .
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