Grands Zhéros de L'Histoire de France
son profit –, ce qui est également formellement proscrit par le règlement de la marine. À bord, l’ambiance est délétère : l’expédition essuie plusieurs tempêtes, des hommes tombent malades. Il n’y a d’ailleurs là rien que de très normal, pense chacun en son for intérieur, puisque avoir des femmes à bord porte malheur, la chose est bien connue des marins. Les amants terribles se disputent constamment, au point d’ailleurs que Kerguelen tentera de faire passer Louise par-dessus bord.
Entretemps, Rosily, le second de Kerguelen, qui, lui, a vraiment vu de près l’île de la Fortune, adresse son rapport au ministre. Il décrit une « côte inaccessible », déclare cette terre « inhabitable » et ajoute qu’elle « ne vaut pas la peine qu’on y retourne ». Le jour même, une lettre part de Versailles pour exiger de Kerguelen qu’il mette un terme à son équipée, mais il est trop tard ; après avoir fait escale à l’île de France où il s’est adjoint un bateau supplémentaire, la Dauphine , Kerguelen fait route vers son continent imaginaire.
Le 1 er décembre, la France australe est à nouveau en vue. Enfin, « en vue », il faut le dire vite, car il fait un temps épouvantable et c’est entre deux bourrasques de neige que les passagers des trois bateaux finissent par distinguer l’évidence : le nouveau continent, dépeint sous un jour si attrayant à Louis XV, n’est point le vert paradis où foisonnent rubis et diamants, mais un îlot inhospitalier où la seule chose susceptible de briller au soleil est la glace !
Malgré ces conditions très défavorables, Kerguelen va-t-il avoir à cœur de mettre le pied sur le continent qu’il croyait naguère avoir découvert ? Selon Alain Boulaire, l’explorateur, il n’est pas en état de le faire, car il souffre depuis plusieurs jours d’« un douloureux érysipèle qui lui met les nerfs à vif ». Érysipèle ou pas, les voyages dans ces eaux inhospitalières se suivent et se ressemblent : pendant vingt-cinq jours, les trois navires tentent de s’approcher de la côte, se suivent, sont séparés par des coups de vent, se perdent de vue. Le 25 décembre, Kerguelen désigne deux marins chargés de mettre pied à terre avec l’un des canots de la Dauphine , tandis qu’il se tiendra à bord de son navire au large d’une île en forme de soulier qu’il a lui-même surnommée la Pantoufle. En effet « pan-toufler » est à proprement parler ce qu’il va faire pendant que ses compagnons s’escriment à accoster.
Finalement, le 8 janvier 1774, les deux enseignes de vaisseau parviennent à débarquer. On retrouve la première bouteille, on cloue les plaques de cuivre, mais le plus gros reste à faire : pousser plus loin la découverte et créer un établissement, puisque ce sont là les ordres de Louis XV. Seulement voilà, Kerguelen semble avoir pris l’archipel en grippe.
Lors de la précédente expédition, il était parti sans attendre le Gros Ventre . Cette fois-ci, le 18 janvier, il va purement et simplement désobéir aux ordres et partir vers le nord, direction Madagascar. Découragement, maladie, épuisement, peut-être aussi espoir de découvrir une terre plus intéressante et de rattraper sa bévue ? Toujours est-il que, reniant totalement sa mission, il décampe une fois encore sans avoir mis le pied sur ces îles qui bientôt porteront son nom. Dans un accès inhabituel de clairvoyance, il écrit à de Boynes, secrétaire d’État à la Marine, que les terres découvertes ne présentent aucune ressource, qu’il n’y a que des pingouins et des loups marins, et qu’il ne semble pas que cette terre soit habitée.
Quand enfin Kerguelen retourne en France, Louis XV vient de mourir, tous les ministres ont changé, notamment de Boynes, il n’a donc plus de protecteur et Louis XVI, qui raffole des vrais explorateurs (ne dit-on pas qu’à quelques minutes de son exécution il demanda si l’on avait des nouvelles de La Pérouse disparu en 1788 au cours de son périple autour du monde), a une grande aversion pour l’indiscipline.
Kerguelen sera donc traduit devant le conseil de guerre. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à être jugé, certains officiers avec lesquels il est entré en conflit à cause de Louise le seront aussi. On va lui reprocher sa désobéissance, l’embarquement d’une jeune femme à bord et d’avoir également fait de la pacotille. Décrété de « prise de corps », il est
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