Hamilcar, Le lion des sables
plusieurs
reprises, il était sorti dans la cour que la chaleur avait transformée en une
véritable fournaise. Il avait bien vite regagné l’intérieur de la maison où il
faisait bon et frais, déambulant à travers les pièces avant de rejoindre son
lit. Tard, très tard dans la nuit, il s’était enfin assoupi, faisant taire cette
colère qui le rongeait et qui deviendrait bientôt légendaire.
Au petit
matin, le bruit l’avait réveillé. Adonibaal était de retour et donnait déjà des
ordres pour le départ. Dans cette soudaine agitation, Hamilcar avait sauté de
sa couche, s’était lavé le visage avec un peu d’eau, avait murmuré quelques
prières propitiatoires et avait enfilé une tunique propre avant de retrouver
son père.
— Adonibaal,
je te salue respectueusement. Je t’ai attendu jusque tard dans la nuit.
— Et
je ne suis pas venu afin d’apaiser tes appréhensions ! Ne hoche pas la
tête en signe de dénégation, tu sais bien que je dis la vérité. Sois patient.
Je t’ai promis une explication et je te la donnerai sur la route de Carthage.
Le trajet est assez long pour que nous puissions avoir un long entretien car ce
que je vais te révéler ne se dit pas en quelques phrases. Pour l’heure,
contente-toi de faire tes adieux à qui tu juges bon de le faire et ne perds pas
de temps avec Épicide. Bien qu’il ne soit plus ton précepteur, il nous
accompagne.
Hamilcar
avait rejoint dans les écuries, où il choisissait les chevaux, l’intendant.
— Himilk,
je pars.
— Je
le sais, fils d’Adonibaal et je prie Eshmoun qu’il t’accorde la santé.
— Je
serai sans doute longtemps absent d’Aspis mais sache que je ne t’oublierai pas.
Il se peut même qu’un jour je fasse appel à toi.
— Si
je suis en vie, j’accourrai aussitôt car, en dépit de ta jeunesse, je te sais
destiné à de grandes choses. Maintenant, il est temps de nous séparer. Je
connais bien ton père. Il doit déjà s’impatienter et pester parce qu’il n’est
pas encore arrivé à Carthage. Je te mène jusqu’à lui.
L’intendant
n’avait pas tort. Adonibaal avait déjà pris place sur un riche charroi traîné
par des bœufs. Protégé du soleil par de somptueuses tentures, l’intérieur était
tapissé de matelas, de coussins et d’étoffes précieuses aux couleurs
chatoyantes. Dans un recoin, étaient disposées quelques coupes et des cruches
de vin d’une contenance d’environ un qob [11] fermées par un bouchon de paille tressée. Confortablement installé, le
sénateur avait le coude gauche appuyé sur un petit coffre en cuir auquel il
prêtait une particulière attention. Il fit signe à son fils de s’installer à
son côté et le convoi se mit en route en soulevant un nuage de poussière. Peu à
peu, Hamilcar perdit de vue les bâtiments du domaine où il avait passé tant de
jours heureux. Une nouvelle vie commençait pour lui et il attendait pour
connaître son futur destin que son père daigne lui adresser la parole.
***
Dès qu’ils
eurent quitté le domaine et atteint la grande route qui menait d’Hadrim [12] à Carthage, le sénateur rompit le silence :
— Tu
dois te demander ce qui m’a fait changer d’avis.
— Père,
je suis heureux de ta décision et je n’ai pas à en discuter les motifs. Te
connaissant, je suppose qu’ils ne peuvent être qu’excellents et j’attends que
tu m’éclaires sur ce point.
— Rome.
— Pardon,
père !
— Rome,
ce nom te dit quelque chose ?
— Qui
ne connaît la cité fondée par Romulus et Remus ? Il paraît même que leur
lointain ancêtre, le prince Énée de Troie, aurait courtisé puis abandonné la
reine Elissa, la fondatrice de Carthage, ce qui est un mauvais présage pour les
relations entre nos deux villes. Pourtant, d’après ce que m’a appris Épicide,
Rome et Carthage ont, à plusieurs reprises, signé des traités d’amitié. Enfant,
je me souviens même d’avoir vu dans notre demeure de Mégara l’amiral Magon dont
les bateaux revenaient précisément d’Ostie, chargés de présents envoyés par le
Sénat romain. Tu l’avais invité et, caché derrière une tenture, j’avais écouté
votre conversation, ne perdant pas un mot de ce qu’il disait et de la
description qu’il faisait de la richesse de cette ville. Carthage peut
s’honorer de cette amitié.
— Ce
n’est plus le cas.
— Ont-ils
violé les traités conclus par nos pères ?
— Pas
encore mais cela ne
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