Hamilcar, Le lion des sables
Tarente.
Rome s’en était émue et nous avions dû lui dépêcher une ambassade pour la
rassurer. Nous avons expliqué aux consuls que nous n’avions nullement
l’intention de fonder des colonies dans cette région. Cette affaire a créé un
précédent fâcheux et il semble bien que les descendants d’Énée veuillent nous
rendre la monnaie de la pièce car certains de leurs navires ont tenté de
franchir le bras de mer qui sépare la Sicile de la terre ferme. Hannon les a capturés
et les a renvoyés au tribun Gaïus Claudius. Il a même poussé la prévenance en
faisant escorter les dits bateaux jusqu’à Rhêgion pour les remettre en mains
propres aux Romains. Le rapport qu’il m’a fait parvenir a éveillé mes soupçons.
— Pourquoi ?
— Hannon
m’y racontait son entrevue avec Gaïus Claudius. Pour plaisanter, il lui a dit
qu’il lui rendait ses navires bien que ceux-ci lui soient inutiles puisqu’ainsi
que le savent tous les peuples, les Romains ont tellement en horreur l’art de
la navigation qu’ils n’osent même pas se laver les mains dans l’eau de la mer.
— Qu’a
dit le Romain ?
— Justement,
c’est sa réponse qui m’inquiète. D’après Hannon, il aurait rétorqué :
« Les Romains sont des élèves qui ont toujours dépassé leurs
maîtres. » Ce Gaïus Claudius a le mérite de la franchise. Sa phrase était
un avertissement à notre encontre. Dès que j’ai eu connaissance de ses propos,
j’ai demandé une réunion d’urgence du Conseil des Cent Quatre pour examiner la
situation. Nous sommes tous convenus que le danger de guerre était bien réel et
que nous ne devions pas nous laisser surprendre à l’improviste. Voilà pourquoi
Carthage a besoin de ses fils les plus vaillants et les plus intelligents afin
d’ôter aux Romains jusqu’à l’envie de monter sur un bateau.
— Père,
tu oublies que je ne sais pas moi-même naviguer.
— T’ai-je
dit qu’on te destinait à servir sur une quinquérème ? Dès notre arrivée à
Carthage, tu partiras pour Messine porter de ma part un message à Hannon. Pour
l’heure, si tu le veux bien, prenons un peu de repos. Nous avons encore une
longue route à faire et tu auras besoin de toutes tes forces dans les jours à
venir.
Une
secousse brutale réveilla en sursaut Hamilcar et son père. L’une des roues du
chariot venait de heurter une grosse pierre placée, on ne sait pourquoi, sur le
côté droit de la chaussée. Il y avait plus de peur que de mal et ils purent
continuer leur route. Le soleil était encore haut dans le ciel. En regardant
devant lui, le fils d’Adonibaal tressaillit de joie. Il apercevait au loin les
hautes murailles de Carthage. Blanchies à la chaux et ornées, à leur sommet et
à leur base, d’une bande de couleur ocre, elles scintillaient de mille feux se
reflétant dans les eaux du lac de Tunès. On pouvait déjà distinguer les tours
hautes de cent vingt coudées et séparées chacune l’une de l’autre par un
intervalle de cinq cents coudées. Cette formidable enceinte fortifiée
s’étendait sur près de trois cent soixante stades [17] , soit à peu près la distance de la ville à la propriété d’Adonibaal à
Aspis. A certains endroits, ceux d’accès le plus facile, une triple rangée de
murailles, précédée par un fossé et une palissade, avait été érigée.
Isolant la
cité du continent, la muraille longeait aussi le bord de mer, percée de ce
côté-là de la monumentale Porte de la mer, flanquée de deux tours bâties à même
le rocher. Ces imposantes fortifications auraient eu de quoi décourager les
plus audacieux des assaillants. Encore ignoraient-ils ce que cachaient ces murs
faits de lourds blocs de pierre amenés du Beau Promontoire : les loges
pour les trois cents éléphants utilisés par l’armée, les vastes écuries où l’on
pouvait dénombrer jusqu’à quatre mille chevaux, les magasins de fourrage et de
vivres ainsi que les casernes pour les fantassins et les cavaliers. À elle seule,
la muraille était une ville dans la ville. Ceux qui y résidaient en permanence,
environ vingt-cinq mille personnes, étaient plus nombreux que les habitants
d’Aspis ou d’Adys. Pourtant, on les voyait peu dans les rues de Carthage. Les
soldats étaient le plus souvent consignés dans leurs casernements et ne
recevaient qu’exceptionnellement l’autorisation de sortir en ville, par petits
groupes accompagnés d’un ou de plusieurs
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