Hamilcar, Le lion des sables
époux. » Elle rejoignit ainsi Acherbas et non Hiarbas
qui, frappé par le courage de cette femme, ne mit pas à exécution ses menaces,
craignant que les dieux ne punissent sévèrement ceux qui s’en prendraient aux
compagnons de la malheureuse souveraine.
— Le
sacrifice de notre grande reine, tu le vois, ne fut pas vain et il constitue
encore de nos jours une leçon pour nous tous. Tu as justement rappelé que nos
ancêtres sont venus de Tyr avec laquelle nous continuons à entretenir des
relations même si cette cité vit maintenant sous le joug de l’étranger. Le pays
de la pourpre est notre patrie ancestrale dont nous conservons pieusement la
langue et les dieux. Ne l’oublie jamais et souviens-toi que nous sommes les
descendants d’un peuple de marins, de ceux qui, les premiers, ont navigué d’un
bout à l’autre de la grande mer, voire bien au-delà des colonnes de Melqart.
Sans la mer, sans notre flotte, nous ne sommes rien. C’est pourquoi nous devons
veiller à ce que personne ne vienne nous disputer la suprématie sur les flots.
C’est la raison pour laquelle la plus belle porte de la ville est la porte de
la Mer. Elle nous indique dans quelle direction nous devons concentrer nos
efforts.
— Mais
les portes qui donnent vers l’intérieur des terres ne sont pas moins
importantes.
— Tu
as raison, l’épisode de Hiarbas est fait pour nous rappeler que les peuples qui
nous entourent, s’ils peuvent parfois être nos alliés, ne sont et ne seront
jamais nos amis. Il convient de les maintenir dans un état de perpétuelle
sujétion si nous ne voulons pas disparaître. De cela, tu dois aussi te
souvenir.
Le convoi
d’Adonibaal était arrivé à proximité de la Porte neuve, édifiée il y a quelques
années de cela grâce à la générosité d’Azerbaal, membre du Conseil des Cent
Quatre. C’est par là que pénétraient dans la ville les voyageurs venant
d’Aspis, du Beau Promontoire ou d’Hadrim. Reconnaissant l’équipage d’Adonibaal,
les soldats en faction bousculèrent les promeneurs pour lui frayer un passage à
travers la foule, particulièrement dense à cette heure de la journée. Le
sénateur les en remercia d’un signe de tête cependant que l’un de ses esclaves,
qui connaissait les habitudes de son maître, remettait au chef des gardes une
bourse remplie d’agouras afin que lui et ses hommes puissent, le soir venu, se
régaler de deux-trois qob de bon vin. C’est par ces menues attentions que la
famille Barca avait acquis sa popularité chez les petites gens de Carthage. On
les savait généreux et dépourvus de la morgue hautaine qu’affectaient les plus
riches citoyens de la ville.
Parce
qu’il lui tardait d’arriver à sa résidence de Mégara, Adonibaal avait demandé
au conducteur de sa litière d’éviter les petites rues, larges de quinze
coudées, où les marchandises débordant des échoppes entravaient la circulation
des passants et des convois. Il avait préféré prendre l’artère principale qui
passait derrière les ports et le quartier des artisans pour accéder au maqom, à
la grande place où, les jours d’assemblée, se réunissait le peuple. L’endroit
était majestueux. D’un côté, celui donnant vers la mer, il y avait le Sénat,
entouré d’une colonnade de marbre ; de l’autre côté, des bâtiments à la
façade plus austère où travaillaient les agents du Trésor et les scribes. Ils
se trouvaient dans la direction de Byrsa, la colline chère au cœur de tous les
Carthaginois, sur laquelle se dressait le temple d’Eshmoun auquel on accédait
par un monumental escalier de soixante marches. Des dizaines de fidèles le
gravissaient chaque jour pour offrir au dieu des sacrifices.
Coupant à
son extrémité nord le maqom – c’était un privilège réservé aux seuls
membres du Conseil des Cent Quatre que de pouvoir y faire passer leurs montures
et leurs équipages –, le convoi d’Adonibaal prit la direction de la
nécropole, de la cité des morts. Le « shad elohim », le champ des
dieux, situé au-delà de la colline de Byrsa, s’étendait jusqu’à la mer. La
route qui le contournait menait à Mégara. L’on était toujours à l’intérieur de
l’enceinte fortifiée mais un voyageur étranger aurait eu du mal à s’en
convaincre. Car, au détour d’une rue bordée de maisons à étages, l’on
débouchait brusquement sur la campagne. C’était, à perte de vue, une succession
de jardins, de vergers et de
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