Hamilcar, Le lion des sables
champs. Quel être normal aurait pu imaginer qu’à quelques
dizaines de stades de là se trouvait l’extrémité la plus avancée de la muraille
d’où l’on pouvait apercevoir, par beau temps, les remparts d’Utique ?
Carthage était bien une cité à nulle autre pareille dont ses habitants
pouvaient être légitimement fiers.
Adonibaal,
qui détestait l’agitation de la ville, avait déserté le palais de son père, à
proximité du Sénat. Il avait acquis à Mégara un vaste domaine et y avait fait
bâtir une luxueuse résidence dont on vantait l’élégance et le confort. Autour
d’une vaste cour intérieure pavée, ornée en son centre d’un immense bassin et
entourée d’un péristyle aux colonnes de marbre de couleurs différentes, se
succédaient des dizaines et des dizaines de pièces, séparées tantôt par de
lourdes portes en bronze, tantôt par de riches tentures, et dont le mobilier
venait de Grèce, d’Egypte ou des ateliers les plus réputés de Carthage. Pour le
confort du maître de maison et de ses hôtes, des piscines avaient été
installées, alimentées en permanence par les citernes d’eau entourant le
principal corps de bâtiment.
Plusieurs
dizaines d’esclaves des deux sexes veillaient à l’entretien de la demeure.
Lorsque le convoi fit son apparition, la plupart d’entre eux se tenaient
respectueusement de part et d’autre de l’escalier de marbre menant à la cour,
prêts à obtempérer au moindre désir d’Adonibaal et ne cachant pas leur joie de
revoir, après une aussi longue absence, Hamilcar. Ce dernier avait passé son
enfance et son adolescence dans cette maison et connaissait chacun des serviteurs
et des servantes avec lesquels il lui arrivait souvent de rire et de
plaisanter. Jamais il n’avait fait battre un seul d’entre eux et pouvait donc
compter sur leur dévouement le plus total.
Lorsque le
sénateur et son fils pénétrèrent dans la cour, un homme se leva et vint à leur
rencontre, l’air grave et préoccupé :
— Salut
à toi, Bodeshmoun, dit Adonibaal. Quelle est la raison de ta visite ?
— Paix
et prospérité sur toi, Adonibaal ! Je suis venu te rendre compte de la
manière dont j’ai exécuté les ordres que tu m’as donnés avant ton départ pour
Aspis. Une quinquérème doit partir dans deux jours chargée de ravitaillement
destiné à notre garnison de Messine. Mahrabaal, ton collègue au Conseil des
Cent Quatre, te fait savoir que celui-ci se réunira demain matin pour discuter
de la situation en Sicile et délibérer sur le contenu du message qui doit être
envoyé à Hannon, le chef de nos troupes dans l’île. Ainsi que tu en as exprimé
le vœu, c’est ton fils qui sera chargé d’apporter à notre général les instructions
du Sénat. Il serait donc bon qu’il puisse, lui et sa suite, embarquer dès
demain soir à bord de la quinquérème. Voilà ce que j’avais à te dire.
— Merci.
Tu as agi avec célérité et efficacité. Sache que je t’en suis reconnaissant.
Quant à toi, Hamilcar, tu as entendu ce qu’a dit Bodeshmoun. Il est temps pour
toi de prendre tes dispositions.
— Père,
je ne sais trop comment faire. Un départ aussi précipité…
— Tu
voulais être soldat ? Eh bien, c’est la vie du soldat que de devoir
quitter les siens à tout moment. Commencerais-tu à mollir ?
— Père,
ce n’est pas ce que je voulais dire. Mais je risque de faire un piètre
militaire. Je n’ai ni glaive, ni casque, ni cuirasse.
— Il
suffit. Retire-toi dans tes appartements. Nous nous ferons nos adieux demain en
fin de matinée. J’ai maintenant certaines choses à discuter en privé avec
Bodeshmoun.
Lorsqu’il
arriva dans la partie de la demeure qui lui était affectée, Hamilcar eut la
joie de retrouver Epicide qu’il n’avait pas vu depuis le matin et auquel il
expliqua, en quelques phrases, la teneur de sa conversation avec son père. Le
précepteur sourit.
— Je
remercie les dieux de m’avoir fait rencontrer les Barca. Vos soldats m’ont
emmené en captivité à Carthage et c’est l’un de ces soldats, toi en
l’occurrence, qui se charge de me ramener dans mon île natale. Je n’avais
jamais pensé la revoir un jour et je ne suis pas sûr que cela me réjouisse
véritablement.
— Épicide,
je ne te comprendrai jamais. À ta place, je serais fou de joie. Nul ne peut
oublier sa patrie.
— Sauf
si l’on est un esclave. Je l’ai toujours été, depuis les premiers jours de ma
vie,
Weitere Kostenlose Bücher