Hamilcar, Le lion des sables
puisque mon père et ma mère étaient de condition servile. J’ai eu la
chance d’être distingué par mon maître, l’un des plus riches citoyens de
Panormos, qui m’a donné une éducation soignée afin que je devienne le
précepteur de ses enfants. Après la prise de notre ville par vos troupes, j’ai
tout simplement changé de maître pour un autre. Et, crois-moi, ton père
Adonibaal, en dépit de sa rudesse apparente, vaut cent fois mieux que le Grec
dont j’étais la propriété. Carthage s’est montrée plus généreuse envers moi que
Panormos, c’est pour cela que j’éprouve quelque chagrin à l’idée de la quitter
provisoirement. La seule chose qui me console est de savoir que je resterai à
tes côtés pour te servir. Il m’aurait été pénible de ne plus te voir.
— Puisque
tu parles de me servir, peut-être vas-tu me tirer d’embarras ? Toi qui
connais les ruelles de Carthage par cœur, sais-tu où je pourrais trouver un
équipement complet de soldat ? Je ne puis tout de même pas me présenter
devant Hannon vêtu comme n’importe quel habitant de la ville !
— Te
souviens-tu de cet esclave que ton père avait envoyé à Aspis il y a de cela
plusieurs mois ? Il était chargé de prendre tes mensurations afin de
renouveler ta garde-robe. Tu l’avais plutôt mal accueilli car c’était l’époque
des semailles et tu passais tes journées dans les champs. Il m’avait fallu user
de toute ma persuasion pour t’obliger à passer un peu de temps avec lui.
— Oui,
je m’en souviens. La belle affaire ! Où sont-elles, ces fameuses
tuniques ?
— Je
te conseille d’aller dans ta chambre. Tu y trouveras le fruit de son travail.
En
pénétrant dans la pièce dont le décor familier lui rappela ses années de
jeunesse, Hamilcar eut la surprise de découvrir, disposés sur la vaste table
faisant face à la terrasse, un lourd manteau de drap rouge, deux solides gilets
de cuir, deux cottes de mailles à lambrequins analogues à celles réservées aux
membres du Bataillon sacré où servait l’élite de la jeunesse carthaginoise,
deux cuirasses, l’une d’apparat en bronze, l’autre en fer, plusieurs glaives
avec leurs fourreaux de bois sculpté, des jambières, de lourds cothurnes et un
casque cylindrique surmonté d’une calotte sphérique et qui protégeait le crâne,
les joues, la nuque et la gorge. Deux fentes étaient ménagées pour les yeux et
une bande de métal était fixée à l’emplacement du nez. Le fils d’Adonibaal
contempla, stupéfait, ces merveilles puis, d’un cri joyeux, il appela
Epicide :
— Tu
savais !
— Je
savais quoi ?
— Que
mon père avait pensé à tout.
— Contrairement
à toi, je ne doute pas de lui.
— Peu
importe que tu aies raison ou tort, aide-moi plutôt à passer l’une de ces
cuirasses, il me tarde de la porter.
Ils
choisirent celle d’apparat qui se fixait par des lanières de cuir aux épaules
et qui se terminait, dans sa partie inférieure, par une frange du même
matériau.
Jusque
tard dans la soirée, les deux hommes examinèrent toutes les pièces de
l’équipement du futur officier, s’extasiant sur leur qualité. Visiblement,
Adonibaal avait fait appel aux meilleurs artisans de Carthage, signe de
l’importance qu’il attachait à la mission de son fils. Au moment de se séparer
pour la nuit, qui promettait d’être courte, Epicide s’adressa à son ancien
élève :
— Je
serai demain à tes côtés mais j’ai l’impression de te voir pour la dernière
fois, Hamilcar.
— Que
veux-tu dire par là ?
— Jusqu’à
maintenant, tu étais Hamilcar, fils d’Adonibaal et élève d’Epicide. Dès les
premières lueurs de l’aube, tu seras quelqu’un d’autre.
— Et
qui serai-je ?
— Tu
seras Hamilcar Barca, un nom qui retentira bientôt aux quatre coins de l’empire
de Carthage et qui inspirera à tous ses ennemis la terreur. Je te laisse
savourer ta dernière nuit en tant qu’Hamilcar. Goûtes-en chaque moment. Tu ne
les revivras plus.
Chapitre 3
Compte tenu
de l’importance du sujet qui devait être traité, le Conseil des Cent Quatre
avait décidé de se réunir exceptionnellement dans l’enceinte du temple
d’Eshmoun. La majesté du lieu imposerait à tous de peser mûrement leurs décisions
et éviterait que la discussion, qui promettait d’être chaude, ne dégénère en
pugilat comme cela était arrivé trop souvent dans le passé. Des sièges avaient
été disposés de
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