Hamilcar, Le lion des sables
leçon et je crois que j’ai eu tort de me rallier
trop vite à Baalyathon même si je ne puis revenir sur mon choix. J’ai songé à
l’instant présent, toi, tu penses au lendemain. Tôt ou tard, le Conseil des
Cent Quatre devra faire appel à toi. Reste à savoir si, alors, tu accepteras de
l’aider.
— Tes
amis voudraient bien en avoir l’assurance afin de pouvoir commettre leurs
erreurs en toute impunité. Je préfère ne pas leur en donner la garantie. Cela
les incitera peut-être à la prudence.
— Tu
es rusé, trop rusé. Tu me fais peur et je me demande s’il ne nous faudra pas te
neutraliser.
***
Arrivé à
Carthage, Hamilcar s’enferma dans sa villa de Mégara, se refusant obstinément à
se rendre en ville ou à rencontrer les sénateurs demeurés fidèles à son père.
Il passait toutes ses journées avec sa femme et ses enfants, les regardant
s’amuser et gambader dans la maison comme il l’avait fait lui-même des années
auparavant. Au bout de quelques semaines, il se lassa vite de ce morne
quotidien. Avec l’un de ses anciens aides de camp et deux esclaves, il décida
de partir chasser au-delà de Sicca. En fait, il ne rêvait que d’une chose même
s’il ne se l’avouait pas : retrouver, après tant d’années de séparation,
son ami Juba. Prévenu par quelques cavaliers numides, le fils du vieux roi
rendit visite au campement d’Hamilcar. Juba avait vieilli et mûri. Il étreignit
son ami et les deux hommes passèrent la nuit à discuter autour d’un feu :
— On
m’a dit que tu avais été nommé commandant en chef en Sicile.
— N’en
parlons plus. C’est du passé. Nous avons été défaits et Baalyathon est
désormais la personnalité la plus influente de Carthage.
— Nous
le savons et nous le redoutons.
— Pourquoi ?
— Parce
qu’il veut s’emparer de nos terres. Nous ne le laisserons jamais faire.
— Te
battrais-tu contre ma ville ?
— La
mort dans l’âme, je le ferai s’il le fallait.
— Ton
père pense-t-il comme toi ?
— Il
n’a plus la force de gouverner. J’essaie de le remplacer du mieux que je peux
avec l’aide de mon frère Narhavas.
— T’es-tu
marié ?
— Oui,
même si les femmes me laissent assez indifférent.
— Juba,
je ne renie rien de notre passé et tu restes mon ami. Simplement, les formes de
cette amitié ont changé. As-tu des enfants ?
— Deux
filles et un garçon.
— Comment
s’appelle ton héritier ?
— Hamilcar.
— Tu
le prénommes Hamilcar et tu ne prends pas la peine de me prévenir.
— Tu
étais loin et je pensais que tu ne voulais plus me revoir. Mon départ de Mégara
a été si précipité qu’il ressemblait à une fuite ou à une expulsion.
— Je
n’étais pas responsable de cela.
— L’ai-je
dit ?
— Viendras-tu
à Carthage ?
— J’en
doute. J’ai beaucoup à faire et je me suis échappé à grand-peine du palais où
l’on doit déjà attendre mon retour. L’aube point. Il est temps pour nous de
nous dire adieu. Sache que, si tu as besoin de moi, je serai toujours là. Pour
toi, pas pour Carthage.
Quand le
fils d’Adonibaal revint à Mégara, un lourd silence planait sur la maison. En
entrant dans ses appartements, il trouva Himilk qui l’attendait, le visage
décomposé :
— Hamilcar,
ta femme…
— Quoi,
qu’y a-t-il ? Est-elle malade ? Où sont mes enfants ?
— Ton
épouse est morte. Il y a dix jours, après le repas, elle a été prise de
violents vomissements et, en dépit de tous nos soins, elle a rendu l’âme.
— Qui
avait mangé avec elle ?
— Son
frère Hannibal et tes enfants. Aucun n’a été malade.
— Il
a empoisonné sa propre sœur ! Je vais le tuer. Donne-moi mon glaive.
— Hamilcar,
je comprends ta douleur mais ne t’emporte pas. J’ai fait battre et torturer les
esclaves qui les ont servis pour m’assurer que la nourriture n’avait pas été
empoisonnée. Ils sont morts en murmurant ton nom, en gage de loyauté. Si les
mets avaient été empoisonnés, les enfants, qui s’amusaient à manger les aliments
de leur mère, auraient aussi péri. Non, la malheureuse a été emportée par un
mal étrange contre lequel Eshmoun ne pouvait rien.
— Où
sont mes enfants ?
— Adonibaal
est parti avec eux pour Aspis où votre propriété, qu’ils ne connaissent pas
encore, vient d’être reconstruite. Crois-moi, c’est le meilleur endroit pour
eux. Au contact de la nature, ils oublieront
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