Hamilcar, Le lion des sables
vous les suppliez de venir se
battre pour Carthage parce que vos fils ont peur de porter les armes. Vos
agents recruteurs leur ont promis monts et merveilles, bien au-delà de ce qu’il
était raisonnable de faire. Aujourd’hui, vous revenez sur la parole donnée
parce que le vent a tourné. Tu as raison de dire que ce sont des étrangers. Je
ne me fais aucune illusion sur eux. Ils sont féroces, cupides, prêts à tout
pour ramasser leur part de butin, capables du meilleur comme du pire. Ce sont
des êtres frustes auxquels il faut imposer une discipline de fer si l’on veut
se faire obéir. Je n’aimerais pas vivre avec eux ou les savoir installés en
permanence à proximité de notre cité. C’est la raison pour laquelle nous devons
nous acquitter scrupuleusement de nos engagements à leur égard.
— Je
te répète que nous n’avons pas les moyens de leur payer l’intégralité des
sommes dues.
— Si.
Il suffirait pour cela que les marchands acceptent d’avancer à Carthage une
minime partie de leur fortune personnelle. Les Romains l’ont fait pour construire
la flotte qui est la cause de nos malheurs, et une partie des 2,200 talents que
nous leur verserons sera utilisée pour rembourser ceux qui ont armé des
trirèmes et des quinquérèmes. Ils nous ont montré l’exemple à suivre.
— Jamais
le Sénat ne le permettra.
— Je
le crains. Le bien public est une idée étrangère à la plupart de ses membres.
Ils préféreront écraser le petit peuple d’impôts nouveaux plutôt que de prêter
le moindre zar [29] au Trésor.
— Hamilcar,
tu ne fais pas montre de souplesse. Ce n’est pourtant pas le moment propice
pour toi pour te brouiller avec le Conseil des Cent Quatre. Votre parti y est
désormais en minorité.
— J’apprécie
ce « votre ». Je constate que tu as su t’adapter très rapidement à la
nouvelle situation. Il ne m’étonnerait pas que tu sois devenu un partisan de
Baalyathon.
— C’est
un homme de bon sens.
— Tu
as tout dit. Ma décision est prise. Je retourne à Carthage et je te remets ma
démission de commandant en chef de l’armée.
— Tu
ne peux pas.
— J’en
ai parfaitement le droit et tu le sais. J’ai été désigné par le peuple et lui
seul peut m’ôter mon commandement à moins que je n’y mette un terme de
moi-même. Je n’entends pas être associé aux funestes événements qui se
préparent et contre lesquels je vous aurais mis vainement en garde.
— Qui
va s’occuper du rapatriement de nos troupes ?
— Toi.
— Il
n’en est pas question. Mes ordres sont de te suivre si tu décides de regagner
notre ville.
— Toi
et Baalyathon aviez tout prévu. Vous saviez quelle serait ma réaction.
— On
devine toujours ce que fait un homme d’honneur.
— L’inverse
n’est pas vrai.
— Sans
doute.
— Je
sais en tout cas à qui tu peux confier la mission d’organiser le départ des
mercenaires. Dans ta suite, j’ai remarqué, à ma grande surprise, que se
trouvait Giscon.
— C’est
un ami de Baalyathon.
— Cela,
je le sais. S’il prend tant de soin à m’éviter, c’est qu’il a une très bonne
raison pour cela. Elle ne devrait pas t’être inconnue. Jadis, ce misérable a
été le bourreau de ton père en Sardaigne. Il l’a fait crucifier après que ce
dernier eut perdu sa flotte. Sans doute rêvait-il de m’infliger le même
châtiment en m’accusant d’être le responsable de notre défaite. Or le Sénat a
désigné le coupable en la personne de ce malheureux Hannon et les Romains
eux-mêmes ont reconnu que j’étais invaincu en laissant leurs armes à mes
hommes.
— Je
comprends mieux pourquoi tu tenais tant à ce que tes mercenaires conservent
leurs glaives et leurs lances.
— J’aime
Carthage mais je la sais capable du pire. J’ai pris mes précautions. Confions
donc à Giscon le soin d’assumer le commandement en Sicile jusqu’au départ de
nos troupes. S’il se passe quelque chose, il en sera tenu pour responsable et
devra le payer. Tu as beau être l’ami de Baalyathon, le respect que tu dois à
ton père doit t’incliner à chercher à le venger en mettant son assassin en
posture difficile.
— Hamilcar,
on m’avait dit beaucoup de choses sur les Barca mais je crois qu’elles étaient
en dessous de la réalité. Votre famille est redoutable. Vous défendez aussi
bien vos intérêts que ceux de la cité en les mêlant les uns aux autres. Tu
viens de me donner une belle
Weitere Kostenlose Bücher