Hannibal, Sous les remparts de Rome
veille aux intérêts de ma cité et je
sais faire taire les passions partisanes quand elles risquent de porter
préjudice au bien commun. Cela dit, pour des raisons aisément compréhensibles,
je ne puis faire partie de la délégation qui rencontrera le chef romain. Ma
présence serait considérée comme une provocation de notre part. Mieux vaut donc
que tu prennes la tête de nos ambassadeurs en compagnie de ton cousin,
Hasdrubal le chevreau.
— Comme
cela, tu pourras nous accuser par la suite d’être les serviteurs des
Romains !
— Par
Melqart, je jure de ne jamais formuler à ton encontre pareille accusation et je
te remettrai un document signé de ma main, attestant que tu as agi à ma propre
demande.
— À
ces conditions, j’accepte ta proposition.
Trois
jours après, trente sénateurs, vêtus de leurs plus riches tenues, sortirent de
Carthage et se dirigèrent vers les positions romaines édifiées à proximité de
Tunès [70] .
Ils étaient escortés par un petit détachement de cavalerie. Quand ils
arrivèrent aux avant-postes ennemis, Hannon le grand ordonna aux soldats de
mettre pied à terre et de jeter leurs armes. Puis il se dirigea vers un
officier et lui demanda d’informer le proconsul qu’une délégation
officiellement mandatée par le Conseil des Cent Quatre souhaitait le
rencontrer.
Publius
Cornélius Scipion hésita quelques instants. Devait-il les recevoir sur-le-champ
ou bien les faire patienter pendant quelques heures sous le soleil ?
Finalement, sa curiosité l’emporta. Il revêtit sa cuirasse d’apparat et ordonna
qu’on amène sous sa tente les ambassadeurs. Sitôt qu’ils se trouvèrent en sa
présence, ceux-ci se prosternèrent à ses pieds, frappant le sol de leurs têtes
et murmurant les paroles les plus flatteuses envers lui. Gêné, le fils de Pomponia
leur ordonna de se relever et de se présenter. Hannon le grand et Hasdrubal le
chevreau déclinèrent leur identité et celle de leurs compagnons. Puis ils
s’assirent sur les sièges que des légionnaires avaient apportés à la hâte,
attendant que leur interlocuteur prenne la parole. Scipion les observa
longuement puis finit par s’adresser à Hannon le grand :
— Carthage
a enfin compris qu’elle ne peut pas gagner la guerre. Vous venez donc
solliciter la paix comme s’il était possible d’effacer d’un coup de glaive des
années et des années de souffrances, de privations, de massacres et de
pillages. Nous n’avons pas voulu déclencher les hostilités et nous vous avions
mis en garde contre les conséquences qu’aurait la prise de Sagonte par vos
troupes. Vous êtes restés insensibles à nos avertissements. Vous devrez payer
le prix de vos erreurs.
— Je
ne saurais te donner tort, dit Hasdrubal le chevreau. Je me suis opposé dès le
début aux folles ambitions d’Hannibal et de ses frères. Ce sont eux les
véritables responsables de nos malheurs et je puis t’assurer que, le temps
venu, nous saurons punir leur insolence et leur indiscipline.
— Il
aurait été sage de les empêcher de nuire dès le début.
— Tu
le sais, ils comptaient de nombreux partisans dans notre cité et les partisans
de la paix étaient dénoncés comme des traîtres et menacés par les plus
fanatiques de nos concitoyens. Hannon lui-même a dû se terrer pendant plusieurs
jours pour éviter d’être lapidé par les amis d’Hannibal. C’est ce dernier qu’il
faut châtier et non Carthage. Dans son Sénat, Rome compte de nombreux alliés
désireux de trouver les conditions d’une collaboration loyale entre nos deux
villes. Unies, elles pourraient accomplir de grandes choses. Nous avons observé
la manière dont tu t’es comporté envers les peuples que tu as vaincus. Tu as su
faire preuve de générosité à leur égard et ceux-ci mentionnent ton nom avec
respect et gratitude. Je souhaite de toutes mes forces que les descendants
d’Elissa puissent un jour faire de même. Nous ne sollicitons pas de toi la
pitié mais la justice. Nous sommes prêts à écouter tes conditions.
— Pensez-vous
sérieusement que j’ai déjà réfléchi à celles-ci ?
— Oui
car tu es un homme sage et avisé. Parle, nous t’écoutons et nous serons heureux
de nous plier à tes volontés.
— Sachez,
Carthaginois, que je suis venu en Afrique pour semer la terreur dans vos
domaines afin de venger les ravages qu’Hannibal a infligés à nos provinces en
Italie. Cela dit, je ne veux pas détruire votre ville car
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