Hannibal, Sous les remparts de Rome
connaissance avec eux. Après tout, si la paix était un jour
signée, Rome et Carthage reprendraient leurs échanges commerciaux et chacun des
protagonistes avait intérêt à avoir dans la cité de son alter ego un
interlocuteur avec lequel il aurait déjà établi quelques liens solides.
***
Comme on
le sait, Hannibal, en maugréant contre l’impéritie de siens, s’était embarqué
avec vingt mille de ses hommes pour regagner l’Afrique. La seule consolation
qui lui restait était de savoir qu’il reverrait sous peu son frère Magon, dont
il était séparé depuis de longues années. Les vents le portèrent vers Lepti
Minus [72] ,
un port situé entre Thapsus [73] et Ruspira [74] .
De là, il gagna Hadrim [75] ,
ville à proximité de laquelle il possédait d’importants domaines. C’est dans
l’un d’entre eux qu’il reçut, un matin, la visite d’Itherbaal, le chef du clan
barcide, venu le saluer et lui apprendre la mort de ses deux frères. Atterré,
le général borgne murmura douloureusement :
— La
malédiction poursuit ma lignée. Bientôt, je crains fort que ne vienne l’heure
de mon propre trépas. J’ai dû commettre une faute grave, dont j’ignore tout,
contre Melqart, qui protégea si longtemps notre famille. Magon et Hasdrubal me
manqueront cruellement non seulement parce qu’ils étaient mes frère chéris mais
parce que j’aurais eu grand besoin de leurs qualités de stratèges. Je préfère
ne pas en dire plus pour ne pas raviver ma douleur. Dis-moi plutôt ce qui se
passe à Carthage et ce que l’on attend de moi.
— Ton
arrivée a rendu l’espoir à bon nombre de nos concitoyens et tous espèrent que
tu ne tarderas pas à te présenter aux portes de la ville où un accueil délirant
te sera réservé.
— Une
fois de plus, je crains fort de décevoir mes partisans. Je n’ai pas l’intention
de me rendre dans ma cité natale. Si je le faisais, je serais prisonnier de
Hannon le grand et des deux Hasdrubal qui prétendront vouloir me dicter ma
conduite. Ils ne connaissent rien à l’art de la guerre et je n’ai pas la
patience de le leur apprendre. Je préfère rester ici. Mon armée ne manque de
rien et peut enfin jouir d’un repos bien mérité après tant d’années passées à
l’étranger. Elle doit impérativement reprendre des forces avant que de passer à
l’offensive car cette trêve ne durera pas éternellement. Les troupes de Scipion
sont épuisées et démoralisées par leur séjour dans un pays hostile où les
frimas succèdent à la canicule. Laissons-les se déliter progressivement et,
quand la révolte grondera dans leurs rangs, je leur infligerai une défaite encore
plus cruelle que celle de Cannae. Retourne à Carthage et je compte sur ta
diplomatie pour expliquer à Hannon le grand que je ne puis, pour le moment,
dégarnir mes positions autour d’Hadrim. Surveille-le attentivement et, à la
moindre occasion propice, fais en sorte que la trêve soit rompue. Je te laisse
le choix des moyens et je te ferai remettre avant ton départ l’argent
nécessaire pour stimuler le zèle et l’ardeur de nos partisans. Sache que, pour
le salut de notre ville, il faut impérativement que Scipion reprenne les
hostilités. À ce moment-là, je ferai mouvement vers le nord et j’attirerai son
armée dans un piège qui lui sera fatal.
Dans la
cité d’Elissa, la situation devenait critique. Les réserves en grains
commençaient à décliner dangereusement et le port n’accueillait plus de navires
chargés de ravitaillement car les négociants, inquiets de la tournure prise par
les événements n’avaient aucune envie de livrer des cargaisons qui ne leur
seraient pas payées. Ce n’était pas la famine mais, tôt ou tard, le Conseil des
Cent Quatre devrait imposer un rationnement strict des vivres, ce qui ne serait
pas sans provoquer des émeutes populaires.
C’est
alors qu’un miracle se produisit. Une trirème, qui patrouillait au large des
côtes, annonça l’arrivée de deux convois de ravitaillement romains. Le premier,
composé de cent navires de charge escorté par vingt navires de guerre, avait
quitté la Sardaigne sous les ordres du préteur Publius Lentulus et accosta à
proximité d’Utique. Le second, venant de Sicile et commandé par Gnaeus
Octavius, était deux fois plus important : deux cents bateaux de vivres et
trente quinquérèmes pour les défendre. Or, il fut dérivé de sa route par des
vents puissants et bon nombre
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