Hannibal, Sous les remparts de Rome
Celui-ci serait trop heureux de faire pression sur mon père. Hasdrubal
m’adore et je redoute que, pour me sauver, il ne soit tenté d’accepter une paix
honteuse et de trahir les intérêts de Carthage. Aussi, je t’en supplie,
délivre-moi de mes soucis en m’ôtant la vie.
Dès que
l’épouse de Syphax avait commencé à parler, Masinissa n’avait pu détacher son
regard de son visage. Il était ensorcelé par la jeune femme que la douleur et
la peur embellissaient encore plus. Il la releva et, la serrant étroitement
contre lui, lui murmura des mots d’amour à l’oreille. Il lui jura qu’elle ne
serait pas emmenée aux Castra Cornélia. Il était prêt à l’épouser sur-le-champ.
Devenue la reine des Massyles, elle serait intouchable et les Romains, qui
devaient tant de choses à Masinissa, n’oseraient pas faire obstacle à cette
union.
C’est
pourtant ce qui se produisit. Arrivé à Cirta, Laelius, dès qu’il eut vent de
l’affaire, entra dans une violente colère et fit interrompre la cérémonie de
mariage, ordonnant à ses légionnaires de reconduire dans ses appartements
Sophonisbé. Quant à Masinissa, il reçut l’ordre de se présenter devant Scipion.
Ce
dernier, quand il fut informé de cette délicate situation, hésita longtemps
avant de prendre une décision. Il admirait le courage et la fidélité du jeune
Numide et répugnait à contrarier ses sentiments. Ce qui le poussa à le faire
fut l’entrevue qu’il eut avec Syphax. Ce dernier, fou de rage à l’idée que son
rival puisse désormais partager la couche de sa femme, jugea habile de la
discréditer auprès du chef romain :
— Sache,
Publius Cornélius, que la fille d’Hasdrubal est la principale cause du
revirement de mon attitude à votre égard. C’est un démon qui, par ses
sortilèges, a perverti mon jugement et m’a obligé à signer un pacte avec son
père. Dans mon malheur, une seule chose me console. Masinissa l’aime et il ne
tardera pas à commettre, sous son influence maléfique, les mêmes erreurs que
moi. A son tour, il se détournera de Rome pour se rapprocher de Carthage et ce
geste lui fera perdre le trône qu’il a arraché de mes mains. Je puis maintenant
mourir en paix car je tiens d’ores et déjà ma revanche.
Ces propos
jetèrent le trouble dans le cœur du proconsul et, quand Masinissa se présenta
devant lui, il l’admonesta sévèrement :
— À
Gadès, lors de notre première rencontre, je t’ai promis de veiller sur toi et
sur tes véritables intérêts. C’est ce que je fais en ce moment. Je sais que mes
paroles risquent de te choquer et de te peiner mais je te considère presque
comme mon fils et je ne souhaite pas qu’il t’arrive malheur. Tu es un brillant
général et tu feras un excellent monarque. Tu es promis à un bel avenir à
condition toutefois que tu apprennes à maîtriser tes sens et à ne pas laisser
ceux-ci obscurcir ton jugement. Crois-moi, celui qui sait, en domptant ses
passions, les tenir en bride, gagne un plus beau titre de gloire et une bien
plus belle victoire que nous, pour avoir vaincu Syphax.
— Que
me conseilles-tu ? demanda le Numide.
— Renonce
à Sophonisbé si tu veux conserver mon amitié. Je ne puis tolérer sa présence à
tes côtés car elle risque, par ses artifices diaboliques, d’instiller dans ton
cœur la haine de Rome. Tu es jeune et je comprends qu’il te soit difficile de
résister à pareille créature. Aussi, il est préférable que tu ne cherches pas à
la revoir. Sous peu, mes hommes viendront la chercher et la conduiront à Rome
où elle devra répondre devant le Sénat de ses crimes. Pendant ce temps,
parcours ton royaume et tu verras que, loin d’elle, tu ne tarderas pas à perdre
jusqu’au souvenir de son visage.
— Tu
exiges de moi un lourd sacrifice mais je me conformerai à tes désirs car tu
parles le langage de la sagesse et de la raison. Puissé-je ne jamais avoir à le
regretter !
De retour
sous sa tente, Masinissa s’écroula sur sa couche et pleura longuement. Se
rappelant la promesse qu’il avait faite à la jeune femme, il se jura de la
tenir. Il convoqua son plus fidèle serviteur et lui remit une dose de poison
destinée à l’épouse de Syphax. Il lui ordonna de la prévenir de l’arrivée
prochaine de ses geôliers et de l’engager à leur échapper en se résolvant au
sacrifice suprême.
La fille
d’Hasdrubal se comporta en véritable Carthaginoise. Lorsque les
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