Hannibal, Sous les remparts de Rome
Sénat.
— Je
comprends ton amertume. C’est une réaction naturelle de la part d’un exilé. Je
suis plus serein. Crois-moi, les fils de mes petits-fils habiteront la cité que
tu vas édifier !
— Peut-être
mais régneront-ils sur elle ?
— J’en
suis convaincu.
— C’est
pour cela que tu ne me proposes pas un site pour édifier ma nouvelle Carthage.
Tu crois à notre survie parce que notre disparition signerait ta propre perte.
Il fallut
plus de deux ans à Hannibal pour faire surgir d’un sol nu Brusa [90] . À quelques stades
à l’ouest de la ville, il avait choisi un terrain pour y édifier sa propre
résidence, celle où, disait-il, il terminerait ses jours. Il en avait conçu
lui-même les plans et était le seul à les connaître dans leur ensemble. Pour
bâtir ce palais, il fit acheter deux cents esclaves auxquels il promit
l’affranchissement à la fin des travaux. On le savait coutumier de ce geste
généreux et les hommes choisis se réjouissaient déjà de recouvrer la liberté
après un dur labeur. Ils ne ménagèrent donc pas leur peine, sous la conduite de
deux contremaîtres, Cléarchos et Diophanès. Leurs conditions de vie étaient
pourtant rudes. Ils ne pouvaient quitter le chantier et les artisans locaux,
sculpteurs, maçons, etc., travaillaient sous la surveillance de gardes à la
vigilance jamais prise en défaut. Il leur était interdit de circuler dans le
reste de la demeure. Aucun n’avait refusé de se plier à ces règles draconiennes
car le fils d’Hamilcar les avait généreusement dédommagés. Petit à petit, le
palais sortit de terre. Il ressemblait en tous points à la vieille résidence
des Barca à Mégara : les mêmes jardins, soigneusement entretenus, les
mêmes pièces meublées luxueusement, une profusion de bassins et de fontaines.
Le chef punique avait pris soin de truffer certaines salles de portes secrètes
menant au sous-sol. Là, des couloirs, semés d’obstacles divers, conduisaient à
sept issues débouchant toutes au-delà de l’enceinte fortifiée. Quand tout fut
fin prêt, le chef punique convia les esclaves à un banquet à l’issue duquel il
leur remettrait leurs actes d’affranchissement.
L’on ne
revit jamais aucun des participants à cette fête joyeuse. Nul ne s’en inquiéta
car ces esclaves, originaires de contrées lointaines, avaient sans doute dès
leur libération regagné leurs patries respectives. Hannibal était le seul à
savoir qu’en fait, ils avaient tous péri empoisonnés. Leurs cadavres avaient
été brûlés par quelques militaires dévoués à leur chef et qui, par la suite,
dispersés dans différentes unités, trouvèrent également la mort. Seuls
Cléarchos et Diophanès avaient échappé à la tuerie. Se doutant de ce qui se
préparait, ils avaient disparu le matin même de la fête fatidique, prétextant
avoir reçu l’ordre d’aller chercher en ville des provisions supplémentaires.
Les gardes les avaient laissés quitter le domaine puisqu’ils se rendaient
souvent auprès du chef punique pour lui rendre compte de l’avancement des
travaux. Les recherches entreprises pour les retrouver restèrent vaines, y
compris après la discrète arrestation des membres de leurs familles. Ils
préférèrent laisser ceux-ci être exécutés plutôt que de reparaître à la cour de
Prusias. Ce dernier y vit la preuve que l’accusation d’espionnage portée à leur
encontre n’était pas dépourvue de fondement. Ces criminels, comme il les
désigna, avaient sans doute gagné Pergame pour livrer à Eumène le plan des
fortifications de la nouvelle capitale à la construction desquelles ils
n’avaient pourtant pas participé. Mais ce détail, le vainqueur de Cannae omit
de le fournir à son maître.
Hannibal
avait obtenu du roi l’autorisation d’inviter certains de ses vieux amis aux
cérémonies dédicatoires de la ville. Deux d’entre eux avaient répondu à son
invitation, Aristée et Ariston. Tous deux étaient venus de Tyr, porteurs de
nombreux messages de Carthaginois demeurés fidèles au parti barcide, et furent
l’objet de maints égards de la part des fonctionnaires bithyniens. Ils
participèrent aux sacrifices offerts dans les temples et furent reçus en
audience par le souverain avec les ambassadeurs des royaumes voisins. À la fin
des festivités, qui durèrent pendant plusieurs jours, le chef punique eut un
long entretien avec son ancien lieutenant :
— Aristée,
je me réjouis de te
Weitere Kostenlose Bücher