Hannibal, Sous les remparts de Rome
furieusement les Romains,
les contraignant à reculer insensiblement. Une mêlée confuse s’ensuivit. Serrés
les uns contre les autres et pouvant difficilement manœuvrer, les combattants
s’agrippaient à la tunique de leurs ennemis, cherchant à les jeter à bas de leurs
montures, qui soulevaient un nuage de poussière rendant l’air irrespirable.
Sans pouvoir distinguer ce qui se passait, on entendait le hennissement
strident des chevaux blessés à mort, dont les sabots raclaient le sol rougi par
le sang des hommes et des animaux.
Voyant sa
cavalerie en difficulté, Varron fit signe aux légions de faire mouvement. Les
soldats, qui n’en pouvaient plus de cuire sous le soleil, s’élancèrent d’un pas
rapide et enfoncèrent les rangs peu épais des fantassins ibères et gaulois qu’ils
bousculèrent et contraignirent à se replier. Pensant que la victoire lui
souriait déjà, le consul ordonna à ses hommes de poursuivre leur avance si bien
qu’ils se retrouvèrent coupés du reste de l’armée, pris de part et d’autre
entre les colonnes de l’infanterie lourde carthaginoise qui opéra une
conversion à cent quatre-vingts degrés. Les cornes du croissant constitué par
les troupes de Magon se refermèrent sur l’ennemi, pris au piège comme un
poisson dans une nasse de pêcheurs, cependant que les Numides, après avoir
taillé en pièces les cavaliers romains et italiens, attaquèrent par l’arrière
les légionnaires massacrés sans pitié.
C’est
alors que l’aide de camp de Magon, Hannon, eut l’idée d’une ruse qui lui valut
pour le reste de la guerre la haine tenace de ses adversaires. Il ordonna à
cinq cents de ses cavaliers de feindre la panique et de faire mine de se rendre
en se présentant devant les lignes romaines, jetant aux pieds des légionnaires
leurs boucliers et leurs javelots. Ils furent conduits à l’arrière où ils se
tinrent si cois qu’on décida de les laisser sans surveillance. Or chacun
d’entre eux avait dissimulé sous sa tunique un court glaive. Sur un signe de
leurs officiers, ils se levèrent d’un bond et, ramassant les boucliers des
morts, prirent à revers leurs geôliers insouciants, leur infligeant de lourdes
pertes. Bientôt, ils furent plus fatigués de tuer que de combattre et
regagnèrent les rangs carthaginois.
Du côté
des Romains, la panique commençait petit à petit à gagner les combattants d’autant
plus assoiffés que le vulturne soufflait en leur direction et asséchait leurs
gosiers. Gravement blessé par la balle d’un frondeur baléare, Lucius Aemilius
Paullus n’avait pas voulu abandonner ses hommes et avait conduit plusieurs
assauts furieux mais infructueux contre les vétérans carthaginois et libyens.
Finalement, ses blessures le faisant atrocement souffrir, il dut mettre pied à
terre cependant que ses officiers formaient autour de lui un véritable rempart
pour le protéger. Observant la scène de loin, Hannibal dit à Magon :
« Tant mieux ! C’est comme s’il me livrait pieds et poings liés ses
hommes. » Sous les coups de boutoir de l’infanterie carthaginoise, que
Magon avait pris soin de faire ravitailler en eau, les Romains commencèrent à
battre en retraite, au début de manière ordonnée puis dans la plus totale
confusion. Chaque légionnaire n’avait qu’une idée en tête : sauver sa vie
en abandonnant ses armes et son équipement pour courir le plus vite possible.
Assis sur
une pierre, le visage ruisselant de sang, Lucius Aemilius Paullus assistait, le
cœur brisé, à cette retraite, trop faible pour tenter d’enrayer ce mouvement de
panique. L’apercevant, le préteur Gnaeus Lentulus, frère du Grand Pontife,
s’approcha de lui et le conjura de se mettre à l’abri :
— Vaillant
consul, tu es le seul d’entre nous qui mérite aujourd’hui d’avoir la vie sauve
car tu as tout fait pour empêcher ce désastre. Laisse-moi te hisser derrière
moi sur mon cheval. Nous gagnerons ton camp où nous tenterons d’organiser une
résistance désespérée avant que la tombée de la nuit ne nous permette de battre
en retraite. Rome a besoin de toi et te l’a prouvé. Regarde autour de toi. Le
sol est jonché des cadavres de tes officiers qui ont offert leur vie pour
préserver la tienne. Honore leur mémoire en satisfaisant leur vœu.
— Gnaeus
Lentulus, je te remercie de ton courage et de ta proposition que je dois, à mon
grand regret, décliner. Ma blessure, je le sens, est mortelle et,
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