Hannibal, Sous les remparts de Rome
d’épreuves et que tu
as perdu un œil en traversant les marais ?
— Tu
raisonnes sans songer à l’avenir. Qu’ai-je à faire de cette cité qui n’est pas
ma patrie et ne la sera jamais ? À mes yeux, elle n’existe déjà plus. Dès
que ses alliés auront appris l’ampleur du désastre de Cannae, ils se
détourneront d’elle pour rechercher notre alliance. Mais ils nous feront payer
cher leur ralliement tant que nous serons en guerre avec les fils de la Louve car
ils jugeront – et ils n’auront pas tort – que leur concours
nous est indispensable. Par contre, si je conclus un traité avec le Sénat, ils
redouteront que je ne tourne vers eux mon armée désormais désœuvrée et ils se
montreront infiniment plus conciliants. Je pourrai alors réaliser mon rêve.
— Quel
est-il ?
— Le
même que celui nourri par notre père Hamilcar : donner à la cité d’Elissa
un immense empire allant des colonnes de Melqart à Tarentum et incluant la
Sicile, la Corse et la Sardaigne que nous reprendrons à ceux qui nous les ont
volées traîtreusement il y a quelques années de cela. La grande mer nous
appartiendra tout entière et nos navires pourront la sillonner en toute
quiétude. Crois-moi, les richesses de ces contrées se déverseront dans le port de
Carthage dont la prospérité dépassera tout ce que nous pouvons imaginer. Nos
adversaires au sein du Conseil des Cent Quatre seront réduits au silence et
notre famille assurée de la reconnaissance éternelle de nos concitoyens. On
murmurera avec respect le nom des Barca et nos petits-enfants nous devront les
places enviées et respectables qu’ils occuperont au Sénat.
— Je
me préoccupe fort peu de l’avenir des miens et je préfère qu’ils doivent leurs
charges à leurs mérites plutôt qu’à leur naissance. Cela dit, ton plan est
séduisant. Reste à savoir si notre ennemi te fera le plaisir de se comporter
comme tu l’espères !
— J’ai
un bon moyen de le savoir.
— Lequel ?
— Nous
avons dans notre camp vingt mille prisonniers romains dont les familles
attendent avec impatience le retour. Je compte envoyer une ambassade au Sénat
pour lui proposer de libérer ces hommes moyennant le versement d’une rançon ou
la conclusion d’un traité de paix aux conditions fixées par moi. Je ne doute
pas un seul instant de la réponse des Pères conscrits.
— Crois-tu
qu’ils accepteront tes propositions ?
— Ils
y seront contraints par les pleurs et les supplications des mères et des
épouses qui languissent après leurs fils et leurs maris. Sache-le, un acte de
clémence vaut mieux que le massacre ou l’asservissement de milliers d’hommes.
Peux-tu croire un seul instant que les familles de nos prisonniers acceptent
que ces derniers deviennent nos esclaves et qu’ils passent le restant de leur
vie à labourer nos domaines en Afrique ?
— Qui
dirigera cette ambassade ?
— Carthalon.
— Quoi,
cette outre gonflée de vin qui fut le plus farouche ennemi de notre père !
— C’est
à lui, tu l’oublies un peu vite, que nous devons d’avoir pu rejoindre Hasdrubal
le beau à Carthagène. C’est un être sans scrupule et, s’il ne tenait qu’à moi,
je l’enverrais volontiers rejoindre ses ancêtres. Un pressentiment me fait
penser qu’il n’est pas étranger, loin de là, aux malheurs qui ont accablé les
Barca depuis la mort d’Hamilcar. Mais il passe pour être un ami des Romains et ceux-ci
verront dans sa désignation un signe de bonne volonté de notre part. Voilà
pourquoi il est le plus indiqué pour s’acquitter de cette tâche délicate.
Quelques
jours plus tard, Carthalon, accompagné de dix prisonniers, partit pour Rome,
escorté par un fort détachement de cavaliers numides. Il ignorait tout du
climat qui régnait sur les bords du Tibre où Marcus Junius Péra venait d’être
élu dictateur et Tibérius Sempronius Gracchus nommé maître de la cavalerie. Ces
deux magistrats, réputés pour leur sévérité et leur intransigeance, avaient
immédiatement ordonné la mobilisation de tous les jeunes gens âgés de plus de
dix-sept ans et, comme leur nombre était insuffisant, ils avaient acheté avec
les fonds publics huit mille esclaves incorporés dans les quatre nouvelles
légions constituées à la hâte et renforcées par l’arrivée de nouveaux
contingents alliés.
Dès qu’on
signala l’approche de Carthalon, un licteur lui fut dépêché par Marcus Junius
Péra pour lui
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