Hannibal, Sous les remparts de Rome
malin plaisir à me raconter tes bonnes fortunes sentimentales. Je
savais que tu demeurais fidèle à notre serment échangé lors de ton départ de
Carthagène. Ton étreinte a réveillé en moi bien des souvenirs et nos corps
seront bientôt enlacés. Mais, auparavant, j’ai à te communiquer des
informations de première importance.
— Je
n’en doute pas un seul instant. Toutefois, elles peuvent attendre quelques
heures.
— Tu
m’as jadis demandé de veiller sur les intérêts de la famille Barca et c’est
pour cette raison que j’ai quitté Carthage à la hâte, te faisant prévenir par
un messager de mon arrivée prochaine, afin de te permettre de prendre certaines
dispositions. Ce que je dois te dire ne souffre aucun retard. Mon cher époux,
sache que tes conseillers te cachent certaines choses de peur de provoquer ta
colère, encouragés en cela par Itherbaal, le chef de tes partisans. Tu avais
raison de ne point lui accorder un crédit illimité. C’est un être timoré sur
lequel on ne peut véritablement s’appuyer. Réponds-moi franchement :
t’a-t-il tenu au courant des événements survenus en Ibérie ?
— Il
n’a pas évoqué dans ses lettres cette question et je n’ai aucune inquiétude à
ce sujet. Mes deux frères, Hasdrubal et Magon, ne m’ont pas non plus écrit. Je
suppose que tout va pour le mieux à Carthagène depuis qu’ils ont mis hors
d’état de nuire Publius et Cnaeus Cornélius Scipion.
— Est-ce
là le grand général que j’ai épousé jadis ? Tu en sais moins sur la
situation que les habitués des tavernes de Carthage.
— Les
Scipions sont-ils revenus du royaume des morts ?
— Ne
blasphème pas inutilement ! Ils ont péri et c’est fort heureux pour nous
car ils ont failli mettre un terme à votre domination sur ma patrie, et ce en
raison de la criminelle négligence du Conseil des Cent Quatre. Hasdrubal avait
suffisamment d’hommes pour tenir le pays et venir à bout de la révolte des
Tartessiens [53] .
Ta ville lui a envoyé des renforts considérables : quatre mille fantassins
et cinq cents cavaliers qui ont fait merveille, appuyés par les troupes de mon
père. Ces victoires, trop faciles, ont convaincu certains de vos magistrats
qu’il était inutile d’immobiliser sur les bords du Bétis et de l’Ebre autant de
contingents dont tu pourrais avoir besoin en Italie. Le bruit d’un possible
départ d’une partie de vos troupes s’est répandu dans les rues de Carthagène à
la vitesse de l’éclair et quelques roitelets, à la fidélité douteuse, ont
estimé plus prudent de basculer du côté des Romains avec lesquels ils ont signé
des pactes secrets. Les légions de Publius et de Cnaeus Cornélius Scipion ont alors
franchi l’Ebre et infligé une défaite cuisante à Hasdrubal, heureusement
secouru par Magon venu en hâte de Carthage avec des renforts. Toutefois, à
l’automne dernier, tes ennemis se sont emparés par traîtrise de la cité de
Sagonte et les enseignes de Rome flottent désormais sur les murs de sa
citadelle.
— Cela,
je ne l’ignore pas. Je sais que Carthage a réagi en dépêchant à Carthagène un
général expérimenté, Hasdrubal, fils de Giscon, qui a fait merveille puisqu’il
a battu et tué les deux chefs romains.
— Le
mérite ne lui en revient pas. Le véritable vainqueur est Masinissa, le frère
cadet de Juba, l’ami de ton père Hamilcar. Sa cavalerie a taillé en pièces les
colonnes romaines et obligé Publius Cornélius Scipion à battre en retraite
avant de tomber dans une embuscade tendue par l’un de mes cousins, Indibilis,
qui a transpercé d’un coup de lance l’ancien consul. Et ce sont les Numides qui
ont surpris son frère, Cnaeus, l’obligeant à se réfugier sur une hauteur
pierreuse près d’Ilorci [54] où il a succombé en tentant une sortie désespérée.
— Tu
me prives du plaisir de faire l’amour avec toi pour m’annoncer des nouvelles
qui ont de quoi me réjouir.
— Tu
sais donc ce qui s’est passé ensuite.
— Non
car mes liaisons avec Carthagène sont rompues. Tous mes navires ont été
interceptés par les Romains et voilà bien longtemps que je n’ai pas reçu de
nouvelles de mes frères ni de leur adjoint, Hasdrubal, fils de Giscon.
— Sache
donc que ces maudits Romains n’ont pas été découragés par la perte de leurs
chefs. Les légions ayant échappé au massacre ont élu pour général non pas
Tibérius Fonteus, commandant en second, mais un
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