Hannibal, Sous les remparts de Rome
orages
qui se sont abattus sur mon camp alors que je m’apprêtais à livrer bataille
étaient pour moi un avertissement sans équivoque. Je suis convaincu que, si
j’avais engagé le combat, la mort me guettait et je ne voulais pas offrir aux
fils de la Louve le spectacle de mon cadavre gisant au pied de leurs remparts.
J’ai l’intime conviction qu’ils seront un jour les responsables de mon trépas
mais ce moment n’est pas encore venu. J’ai donc préféré ne pas outrager Baal
Hammon en devançant l’heure de ma mort.
— Tes
paroles sonnent juste mais elles ne convaincront personne. D’autres
explications circulent déjà et elles ne sont pas à ton avantage.
— J’aimerais
les connaître.
— On
murmure dans nos rangs que tu as été vexé parce que les Romains avaient mis aux
enchères le champ où tu avais installé ton camp et qui, en vertu des lois de la
guerre, était devenu ta propriété. Des milliers d’acheteurs se seraient
présentés devant le Sénat pour se porter acquéreurs de ce lopin de terre, ce
qui prouvait que les fils de la Louve étaient persuadés de ta prochaine
défaite.
— Ceux
qui colportent ces ragots ignorent que, dans le même temps, mes soldats avaient
acheté, lors d’enchères similaires organisées par moi, les boutiques des
changeurs qui se trouvent sur le Forum. C’est te dire combien j’étais confiant
dans ma bonne fortune jusqu’à ce que les dieux m’adressent leur avertissement.
— Que
diront nos enfants et nos petits-enfants d’un tel fait ? Le plus grand
général qu’ait jamais eu Carthage a fait traverser à ses troupes les Pyrénées
et les Alpes. Il n’a pas craint de les entraîner dans les eaux fétides des
marais, où il a perdu un œil, et une simple averse l’aurait conduit à renoncer
à prendre la capitale de ses ennemis ! Le soleil du désert et les neiges
de la Bactriane n’ont pas eu raison de la détermination d’Alexandre qui a mené
ses soldats jusque sur les rives de l’Hindus.
— Lui
aussi, tu l’oublies, rétorqua Hannibal, a dû revenir sur ses pas alors que les
portes d’un empire mystérieux s’ouvraient devant lui. Il savait que, dans
l’Olympe, son sort avait déjà été décidé et que la mort le faucherait
prochainement. Il a préféré mourir au milieu des siens.
— Il
se trouvait à des centaines de stades de sa capitale. Toi, tu étais à quelques
journées de marche du Bruttium et il ne tenait qu’à toi de nous prévenir. Nous
serions accourus pour te prêter main-forte et t’aider à prendre cette maudite
ville. Je suis prêt à parier que tu n’y as même pas songé tant tes cauchemars
te faisaient perdre le jugement.
— Maharbal,
ne confonds pas les rêves et les avertissements que les dieux, dans leur grande
miséricorde, adressent à ceux qu’ils aiment ou qu’ils veulent sauver de la
perte. N’oublie pas une chose : c’est parce que leurs consuls ont négligé
les avertissements des augures que les Romains ont été défaits à Trasimène et à
Cannae. J’ai trop le souci de mes hommes pour leur faire courir pareil risque.
— Tu
m’as dit tout à l’heure que tu n’étais pas aussi impie que tes adversaires le
prétendent et je me rends compte que ta piété, pour être discrète, est bien
réelle. J’aurais dû prendre la tête de cette expédition car, moi, je laisse
Melqart et Baal Hammon se débrouiller entre eux. Je ne leur demande pas de se mêler
des affaires humaines et je n’aurais eu aucun scrupule à galoper dans les rues
de Rome. Aujourd’hui, il est trop tard pour lancer une nouvelle offensive.
Jamais plus, nous ne reverrons les bords du Tibre.
— Maharbal,
fit Magon d’une voix douce, il est vain de vouloir refaire le passé. Nous
devons songer à l’avenir et, si j’ai un reproche à adresser à mon frère, c’est
celui d’avoir dirigé ses pas vers le Bruttium plutôt que de venir en aide à nos
alliés capuans dont la cité est sur le point de capituler.
— Tes
informations sont erronées, dit Hannibal d’un ton amer. La ville est
aujourd’hui aux mains de l’ennemi. Nos bons amis campaniens n’ont pas attendu
mon arrivée sous les murs de Rome pour engager des pourparlers secrets avec le
Sénat, lui offrant de leur livrer la garnison carthaginoise qui résistait
vaillamment aux assauts des légions d’Appius Claudius Pulcher. J’ai intercepté
plusieurs de leurs messagers et les documents dont ils étaient porteurs
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