Hannibal, Sous les remparts de Rome
semblera.
— Oses-tu
affirmer qu’il me chasse comme l’on renvoie, après une nuit d’amour, une
vulgaire courtisane ?
— Tu
te laisses emporter par la colère et tu ne mesures pas tes propos. Crois-moi,
il a le plus grand respect pour toi et tu ne peux ignorer les marques
exceptionnelles de prévenance dont il t’a entourée. Toutefois, il a cessé de
t’aimer et de te désirer. Vos chemins doivent désormais se séparer et c’est à
moi qu’il a confié le soin d’organiser ton départ.
— J’exige
de le voir sur-le-champ.
— C’est
impossible. Il est parti hier à la tête de plusieurs centaines d’hommes pour
tendre une embuscade à un détachement romain dont la présence dans la région
lui a été signalée. Cette campagne risque fort d’être longue et il ne te
servirait à rien d’attendre son retour. Je comprends ta peine et ton chagrin.
Toutefois, il est inutile d’aller à l’encontre de sa volonté. Permets-moi de me
retirer maintenant. Je reviendrai dans quelques jours prendre tes ordres et
veiller à ce que tu sois escortée jusqu’à ta future retraite.
— Et
si c’était Rome ?
— Crois-tu
que tu y serais la bienvenue ? Ta ville était autrefois l’alliée de la
cité de Regulus et tu as poussé les tiens à embrasser le parti de Carthage.
C’est là un crime que nos ennemis te feront payer cher.
— Ils
peuvent être intéressés par certaines informations que je suis en mesure de
leur donner.
— Lesquelles ?
Qu’Hannibal est borgne ? Qu’il aime les plaisirs de la chair ? Cela,
ils le savent depuis longtemps et ils n’ont pas besoin de tes services pour
connaître nos positions. Ce camp fourmille d’espions à leur solde même si nous
finissons toujours par les repérer et par leur infliger le châtiment qu’ils
méritent. Ne te berce pas de faux espoirs. Tu ne seras pas accueillie à bras
ouverts sur les bords du Tibre. Dans le meilleur des cas, tu seras vendue comme
esclave à une famille patricienne. Hannibal t’offre la possibilité de te
retirer là où tu le souhaites avec des richesses qui te permettront de vivre à
l’abri du besoin jusqu’à la fin – qu’elle soit la plus lointaine
possible ! - de tes jours.
— La
seule liberté qui me reste est de décider le jour de mon départ. Soit. Je
partirai sous peu pour la Grèce d’où mes aïeux vinrent jadis. Dis à ton maître
que je ne lui pardonnerai jamais l’affront qu’il me fait mais que je ne
chercherai pas à en tirer vengeance. D’autres que moi s’en chargeront et il
l’éprouvera quand il sera seul et abandonné de tous.
Quand il
revint, fourbu de fatigue, de son expédition, Hannibal fut informé par Silénos
de l’entretien de celui-ci avec Hélène et des propos qu’elle avait tenus. Il
haussa les épaules en signe de dédain mais son confident devina qu’il était
troublé par cette sinistre prédiction au point de se retirer, pendant plusieurs
jours, sous sa tente, refusant de recevoir ses officiers. Certains d’entre eux
ne cachèrent pas leur mécontentement et Maharbal, le chef de la cavalerie, dut
intervenir pour faire taire leurs récriminations :
— Votre
général est un homme comme les autres, avec ses défauts et ses faiblesses. Il a
dû céder à la raison d’État en se séparant d’Hélène qu’il aimait. C’est une
leçon que vous devriez méditer.
— Je
vois mal, rétorqua un jeune capitaine, où se situe l’intérêt public dans cette
affaire.
— Tu
ne tarderas pas à l’apprendre.
Maharbal
était demeuré dans le vague pour ne pas attiser l’inquiétude de ses hommes.
Ceux-ci comprirent qu’il était au courant d’événements graves, de nature à modifier
le cours de la guerre, et ils redoublèrent d’admiration pour sa sagacité quand,
quelques jours après, ils virent Imilcé descendre d’une quinquérème en
provenance de Carthage. Fière et hautaine, elle se fit conduire immédiatement
auprès de son époux. En la retrouvant après plus de huit années d’absence,
celui-ci ne put cacher son émotion. Il la serra dans ses bras, la couvrit de
baisers et, d’un geste autoritaire, congédia les présents. Il lui tardait de la
conduire vers sa couche. D’un geste brusque, elle se dégagea et, les yeux
embués de larmes, lui dit :
— J’ai
attendu ce moment avec impatience et je suis heureuse de sentir la force de ta
passion. Je n’ai jamais douté de ton amour même si des âmes charitables
prenaient un
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