Hannibal, Sous les remparts de Rome
pas se
compromettre vis-à-vis de leurs magistrats respectifs. Lui expliquerait à ces
derniers qu’il s’était conformé aux lois sacrées de l’hospitalité et n’avait
pas voulu privilégier l’un de ses invités au détriment de l’autre. Encore plus
madré que ses interlocuteurs, le roi fit disposer dans la pièce où se
déroulerait le repas deux lits de repos. Il occuperait le premier et ses
interlocuteurs devraient, pour manger, prendre place côte à côte sur le second,
faisant contre mauvaise fortune bon cœur.
Le festin
fut splendide. Syphax avait veillé à choisir les meilleurs vins de ses réserves
et ses cuisiniers avaient préparé des plats raffinés servis par des cohortes
d’esclaves attentionnés. Il accueillit ses convives avec un véritable déluge de
paroles mielleuses et de compliments hypocrites :
— Mon
cœur se réjouit de voir Publius Cornélius Scipion et Hasdrubal, fils de Giscon,
réunis dans mon palais et me faire l’honneur de partager ces modestes agapes.
Ce jour est l’un des plus beaux de ma vie et je prie nos dieux et les vôtres
qu’il marque les débuts d’une ère nouvelle pour nos peuples. Il est un temps
pour la guerre et un temps pour la paix. Ce soir, celle-ci me paraît proche et
ma vie n’aura pas été inutile si je parviens à faire naître dans vos cœurs
l’envie de mettre un terme à une guerre fratricide. Je lève ma coupe au succès
de cette entreprise.
— Syphax,
dit le Romain, tu es un excellent comédien et j’admire la façon que tu as de
réparer ta maladresse. Je suis sûr qu’Hasdrubal partage ce sentiment et il ne
me déplaît pas de faire sa connaissance dans de telles circonstances.
— Moi
aussi, répondit le fils de Giscon, j’ai hâte de parler avec le militaire de
génie qui a chassé les miens de Carthagène et de Gadès. Foin de politesses,
prenons place et que la fête commence !
Le vin
délia vite la langue des convives et, très rapidement, les deux généraux
oublièrent la présence de Syphax pour évoquer les combats qui les avaient
opposés, chacun vantant les prouesses de l’autre. En bon Oriental, Hasdrubal,
fils de Giscon, attendait que son interlocuteur se dévoile le premier. Scipion
le comprit mais préféra le laisser bouillir d’impatience. Quand il jugea que le
Punique était sur le point de perdre son calme, il se décida à entrer dans le
vif du sujet :
— Hasdrubal,
certains de mes propos risquent de te blesser et je voudrais que tu saches que
ma maladresse n’a rien d’intentionnel ni d’offensant pour toi. J’ai pu
apprécier tes qualités de chef militaire et je m’étonne que ta cité n’ait pas
cherché à les utiliser encore plus. Il est vrai que tu as la malchance d’être
un ami d’Hannon le grand et de son second, Hasdrubal le chevreau, des hommes
épris de paix et de conciliation, donc de farouches adversaires des Barca. Une
chose m’étonne toutefois : tes protecteurs vivent à Carthage et dirigent
la ville alors que la famille d’Hamilcar n’a pas revu sa cité natale depuis des
années. Comment expliques-tu l’autorité quasi absolue dont elle dispose et la
faculté qui lui est accordée d’agir comme bon lui semble.
— La
populace leur est acquise et se félicite de leurs succès. Jusqu’à présent,
comme ils disposaient des richesses de l’Ibérie, ils ne demandaient aucune aide
financière à nos magistrats. Puisqu’elle n’était pas pressurée d’impôts, la
plèbe n’a aucune raison d’être hostile à une guerre qui ne lui coûte rien.
— Tu
veux dire qui ne lui coûtait rien. Car, avec la perte de Gadès et de
Carthagène, l’or et l’argent cesseront d’affluer dans les coffres de votre
cité. Désormais, vous n’aurez d’autre choix que de lever de nouveaux impôts, et
tu sais que de telles mesures sont profondément impopulaires. La grogne du
petit peuple se retournera contre vous et non contre Hannibal qui est loin,
très loin, et dont la popularité demeure intacte. Tôt ou tard, toi et les tiens
seront confrontés à une situation peu enviable. Les partisans des Barca ne
manqueront pas d’expliquer qu’il serait opportun de chercher l’argent là où il
se trouve, c’est-à-dire dans les caves de vos palais. Il suffirait de quelques
éléments provocateurs pour provoquer des émeutes et organiser les pillages de
vos demeures.
— C’est
un risque dont le Conseil des Cent Quatre se préoccupe et il a pris toutes les
dispositions
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