Hannibal, Sous les remparts de Rome
pour parer à de tels troubles. La garnison de Carthage a été
considérablement renforcée et, s’il faut, nous n’hésiterons pas à traduire
devant le Sénat les agitateurs et, surtout, leurs inspirateurs. Nous les
connaissons car ils agissent à visage découvert.
— Je
fais confiance à votre cruauté bien connue pour que toute tentative de sédition
soit réprimée dans le sang. Cela ne réglera pas pour autant ton problème
majeur, celui de la répartition du pouvoir dans votre ville. Jusque-là, vous étiez
gouvernés par une aristocratie fière de ses prérogatives et de ses privilèges.
Les Barca, qui ne répugnent pas à la démagogie, ont placé leurs hommes au sein
du Conseil des Cent Quatre et du Sénat. Bientôt, ils seront plus nombreux que
vous et vos pouvoirs seront réduits à néant.
— Scipion,
ton analyse ne manque pas de justesse. Elle a un point faible. Ce que tu décris
n’est pas uniquement valable pour la cité d’Elissa. A Rome même, vos patriciens
sont confrontés à une situation identique et, toi-même, tu n’es pas loin de te
comporter comme Hannibal. Ton parti s’appuie sur la plèbe contre les milieux
conservateurs représentés par votre vieux dictateur Quintus Fabius Maximus,
hostile à la poursuite des opérations militaires en dehors de l’Italie. Tu es bien
mal placé pour défendre les intérêts de l’aristocratie carthaginoise alors que
tu réduis les pouvoirs de son homologue romaine.
— J’appartiens
à une lignée patricienne, à l’une des familles les plus anciennes de ma cité,
et je n’ai nulle envie, crois-moi, de voir la populace dicter la conduite des
miens. Je feins de rechercher l’amitié de la plèbe pour la bercer d’illusions
et faire en sorte que rien ne change dans nos institutions. Il me suffira, le
temps venu, d’user de mon prestige pour ramener à la raison les démagogues que
je hais tout autant que toi.
— C’est
un jeu habile et dangereux qui pourrait se retourner contre toi.
— C’est
là une hypothèse que j’ai la faiblesse de ne pas prendre en considération.
— Parlons
franchement. Qu’as-tu à me proposer ?
— Une
alliance tacite. Si vous parvenez à vous débarrasser des Barca, ma cité vous
saura gré de vos efforts et pourrait, en contrepartie, vous offrir des
conditions de paix moins dures que celles que vous vaudrait votre obstination.
— Je
transmettrai à ton message à Hannon le grand en l’assortissant d’un seul
commentaire.
— Puis-je
en avoir la primeur ?
— Je
dirais à Hannon le grand en parlant de toi : « Avec un tel homme, les
Carthaginois devraient moins chercher à s’expliquer comment ils ont perdu l’Espagne
que de se demander comment garder l’Afrique. » Maintenant, si cela ne
t’offense pas, je sollicite la permission de me retirer. J’appareille
après-demain et je suppose que tu dois t’entretenir avec Syphax. Pour ma part,
j’ai âprement négocié avec lui et je sais qu’il ne me donnera aucune réponse
avant d’avoir tramé quelque intrigue subtile avec toi.
— Que
les vents te soient favorables ! Je suis convaincu que nous nous
reverrons.
Hasdrubal,
fils de Giscon, prit congé du chef romain et du souverain masaesyle. Ceux-ci,
enfin seuls, discutèrent jusqu’au petit matin et Publius Cornélius Scipion
alterna menaces et promesses :
— Syphax,
sache que je ne te garde pas rancune de ta duplicité. Tu n’avais pas prévu que
je débarquerais alors que mon ancien ennemi était encore présent dans ta
capitale. J’ai pu de la sorte le rencontrer et je ne regrette pas cette
entrevue qui m’a appris beaucoup de choses.
Cela dit,
Rome a envers toi un lourd contentieux. Tu as fait souffler alternativement le
chaud et le froid sur nos relations alors que nous étions favorablement
disposés à ton égard. Nous ne tolérerons plus tes atermoiements ni tes fausses
promesses. J’ai à te transmettre un ultimatum de la part du Sénat. Soit tu
acceptes de signer sur-le-champ un traité d’alliance et d’amitié avec nous,
soit tu subiras le châtiment que te vaudra ta fidélité à Carthage, à une cité
qui, bientôt, sera assiégée par mes troupes. Que choisis-tu ?
— Vos
succès militaires m’indiquent clairement que la Fortune sourit à vos armées.
Depuis ma jeunesse, j’ai toujours jugé préférable de me ranger aux côtés du
vainqueur. Fais donc savoir à vos consuls que la cité de Romulus a désormais un
nouvel allié, Syphax,
Weitere Kostenlose Bücher