Hannibal, Sous les remparts de Rome
roi des Masaesyles.
Scipion,
ravi de l’issue favorable des pourparlers, regagna bientôt Gadès, puis Rome.
Dans sa ville natale, il reçut un accueil enthousiaste et sa demeure située
dans le quartier des Vieilles Boutiques, en bordure du Forum, était envahie par
la foule de ses partisans venus le féliciter ou lui présenter des demandes intéressées.
Avec l’aide de sa mère Pomponia, qui contribua largement à sa campagne, il se
fit élire consul en même temps que Publius Lucinius Crassus, un plébéien
fabuleusement riche auquel ses trésors avaient valu le surnom de « Dives [67] ».
Restait à déterminer quelles provinces échoueraient aux nouveaux magistrats. Le
vainqueur d’Hasdrubal fils de Giscon lorgnait sur la Sicile, marchepied naturel
pour passer en Afrique, et avait de bonnes chances de l’obtenir car son
collègue, exerçant depuis quelques années la fonction de Grand Pontife, ne
pouvait, en raison des interdits religieux accolés à cette dignité, quitter le
sol italien.
Toutefois,
bon nombre de sénateurs, à commencer par le vieux Quintus Fabius Maximus,
étaient hostiles à l’expédition projetée. Un débat particulièrement houleux
l’opposa donc à Publius Cornélius Scipion. Le premier attaqua de front celui
qu’il considérait comme un jeune blanc-bec rongé par l’ambition :
— Vénérables
Pères conscrits, on parle d’envoyer nos légions de l’autre côté de la grande
mer alors que ce maudit Hannibal occupe toujours le Bruttium et sème la terreur
ainsi que la désolation dans les territoires de nos alliés. Avant de mettre le
siège sous les murs de Carthage, il serait préférable de libérer l’ensemble de
la péninsule et de bouter hors d’Italie le général borgne qui nous a déjà fait
tant de mal. Je l’ai suffisamment combattu pour être à même de porter un
jugement sur lui. Il vit depuis trop longtemps loin de sa cité natale pour
songer à y revenir un jour et à devoir affronter les critiques de ses
adversaires au sein du Conseil des Cent Quatre. Il restera sourd à ses demandes
si celui-ci, voyant nos troupes ravager le Beau Promontoire et ses environs,
l’adjure de revenir. Il profitera même de l’affaiblissement de nos forces pour
lancer sur la Lucanie ou la Campanie l’un de ses audacieux coups de main dont
il a le secret.
C’est
contre lui que nous devons consacrer toute notre énergie. Il faut que la flotte
l’empêche de recevoir le moindre ravitaillement et que notre infanterie le
traque sans pitié. Nous finirons bien par l’épuiser et il devra alors se
rembarquer. C’est en Italie que nous devons combattre. Il n’est pas naturel, il
est même impie d’attaquer le pays des autres avant de défendre le sien.
Chassons d’abord de chez nous la peur et l’effroi avant de les porter en terre
étrangère pour autant que cela soit nécessaire. Car je ne cache pas être
profondément hostile à l’idée d’un débarquement en Afrique. Les plus vieux
d’entre nous se souviennent encore du malheureux précédent de Marcus Attilius
Regulus et de sa mort loin des siens. Je ne souhaite pas à Publius Cornélius
Scipion de connaître pareille mésaventure et c’est la raison pour laquelle je
m’oppose à son projet.
— Est-ce
vraiment la seule ? fit un sénateur, partisan du futur consul.
— Tu
m’obliges à aborder un sujet délicat. Je ne méconnais pas ses qualités de
militaire mais je redoute ses ambitions politiques. Il veut faire un coup
d’éclat pour s’attirer les sympathies de la plèbe et devenir le maître
incontesté de notre ville. Tout comme Hannibal, il a une fâcheuse
tendance – nous l’avons bien vu lors de ses campagnes en
Ibérie – à décider lui seul de la conduite des opérations sans
prendre la peine de nous consulter. Il y a quelques années de cela, il a obtenu
un imperium militaire alors qu’il n’avait exercé aucune magistrature
importante. Aujourd’hui, auréolé de la dignité que lui a conférée le peuple, il
n’a aucune raison de changer de comportement et cela m’inquiète au plus haut
point.
— Sans
doute préférerais-tu le voir guerroyer dans le Bruttium et toi être désigné
pour mettre le siège devant Carthage ? tonna un autre sénateur. Pareille
victoire couronnerait ta carrière et priverait ton rival d’un triomphe bien
mérité.
— Tu
as tort, dit Quintus Fabius Maximus. Je ne veux pas de cette expédition en
Afrique car elle ne décidera en
Weitere Kostenlose Bücher