Hannibal, Sous les remparts de Rome
est à même de savoir quel est
l’intérêt de l’État ? Toi ou nous ?
— Ma
famille compte au nombre des plus anciennes de notre cité et l’a toujours
servie avec fidélité et courage. Ce que j’ai fait depuis des années, à la suite
de mon père et de mon oncle, notamment la reconquête de Sagonte, de Carthagène
et de Gadès, plaide en ma faveur. Avez-vous eu à vous plaindre des résultats de
mes initiatives ? Vous évoquez des rumeurs, des soupçons et de vagues
inquiétudes, je vous réponds par la réalité. A vous donc de juger ce qui sera
le plus utile à notre patrie.
Finalement,
le Sénat se prononça en faveur de l’attribution de la Sicile à Publius
Cornélius Scipion et l’autorisa à passer en Afrique s’il l’estimait nécessaire.
Il est vrai que Publius Licinius Crassus avait fait basculer une large partie
des votants en rappelant que ses fonctions religieuses lui interdisaient de
quitter l’Italie et qu’il était solidaire, en tous points, de son collègue.
***
Le jeune
consul avait eu la chance de voir le débat tourner court. Quelques semaines
plus tard, il n’aurait pas obtenu l’approbation des sénateurs car un événement
était intervenu, de nature à modifier profondément la suite des opérations.
Publius Cornélius Scipion s’était vanté d’avoir obtenu de Syphax la signature
d’un traité d’amitié avec Rome. Or le roi masaesyle, comme l’avait prévu
Quintus Fabius Maximus, dénonça ce pacte solennel pour se rallier
définitivement à Carthage.
L’artisan
de ce revirement avait été Hasdrubal, fils de Giscon. Au lendemain de son
entrevue avec Scipion, il avait compris que le départ précipité du chef romain
de Siga tenait à ce que ce dernier avait obtenu de leur hôte ce qu’il
souhaitait. Il avait fait mine de ne pas réagir et avait pris congé fort
aimablement du souverain masaesyle, lui promettant qu’il reviendrait sous peu
le voir. À peine arrivé dans la cité d’Elissa, le rival d’Hannibal avait
rencontré son protecteur, Hannon le grand, pour l’informer de la trahison de
leur ancien allié et envisager une riposte.
Le chef du
parti anti-barcide avait hoché la tête de dépit et interrogé son interlocuteur :
— Que
comptes-tu faire ? Sa défection constitue un danger intolérable pour notre
cité mais nous manquons d’hommes pour ramener Syphax dans le droit chemin.
— Une
femme le fera.
— Qu’entends-tu
par là ?
— J’ai
une fille, Cafonbaal, la « protégée de Baal », que l’on désigne en
grec sous le nom de Sophonisbé. Elle est, tu le sais, d’une beauté
éblouissante, et de nombreux jeunes Carthaginois seraient prêts à tout pour
avoir le privilège de l’épouser. Par amour pour ma cité, j’ai décidé qu’elle
serait notre nouvelle Elissa. Elle devra se sacrifier pour assurer l’avenir de
Carthage. Sous peu, je partirai avec elle pour Cirta et je suis prêt à parier
la moitié de ma fortune qu’en l’apercevant Syphax en tombera éperdument
amoureux. Je lui accorderai la main de ma fille bien-aimée à une seule
condition, qu’il dénonce son alliance avec Rome.
— Tu
t’imposes là un lourd fardeau. Ne crains-tu pas que certains de nos
compatriotes ne te reprochent d’avoir vendu ton enfant à un étranger et de
déshonorer ainsi le nom de ta lignée ?
— Tu
sais mieux que quiconque ce que je pense de ces maudits Numides et je n’ai
jamais fait mystère de mes sentiments, y compris devant l’un d’entre eux,
Masinissa. Ce sont des êtres sauvages et incultes, infiniment moins
intelligents que nos esclaves grecs. Je pouvais rêver pour ma fille d’un
meilleur parti mais, après avoir mûrement réfléchi, je ne vois pas d’autre
solution pour nous sortir d’affaire. Il est de mon devoir de l’obliger à
prendre pour mari Syphax, à condition que celui-ci rompe son alliance avec
Rome. J’y vois un autre avantage : affaiblir la position d’Hannibal.
— De
quelle manière ?
— Tu
le sais, les Barca ont toujours favorisé les Massyles, que ce soit Gaïa ou
Masinissa. En nous alliant avec celui qui l’a dépossédé de son royaume, nous
montrerons à ce dernier que Carthage est la seule à régner sans partage sur ces
rivages. Il se sentira trahi par nous mais surtout par son ami, le fils
d’Hamilcar, qui n’a pas la possibilité de s’opposer à notre décision. Il est
loin, très loin, et certains de ses partisans ne partagent pas son
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