Hasdrubal, les bûchers de Mégara
trêve nous permettant de
reconstituer nos forces.
Compte
tenu du crime abominable dont je m’étais rendu coupable en faisant exécuter les
captifs romains, je ne pouvais envisager d’envoyer des parlementaires auprès du
petit-fils adoptif de Scipion l’Africain. Rien ne m’interdisait cependant de
prendre contact indirectement avec lui par l’intermédiaire de Gulussa auquel je
dépêchai un officier numide qui quitta la ville, de nuit, à bord d’une frêle
barque de pêcheurs en direction du lac de Tunès d’où il pourrait, en faisant
preuve de prudence, gagner le camp du jeune prince numide et lui transmettre ma
proposition d’une rencontre discrète.
Je n’eus
qu’à me féliciter de cette initiative. Quelques jours plus tard, mon envoyé
revint et m’informa que Gulussa m’attendrait, le surlendemain, dans une ferme
isolée située sur la colline dominant le lac, à condition que je vienne avec
une escorte ne dépassant pas dix hommes. Mon fidèle Magon se chargea d’informer
Mutumbaal que je souffrais d’un violent accès de fièvre et que je devais rester
alité jusqu’à mon complet rétablissement, avec interdiction de recevoir qui que
soit compte tenu du caractère pernicieux de ce mal. De la sorte, je pus quitter
la ville de nuit, à bord d’une barque, en compagnie de dix hommes dans lesquels
j’avais toute confiance. La traversée s’effectua sans encombre et, quand nous
débarquâmes de l’autre côté du lac, nous trouvâmes un Numide qui nous attendait
avec des chevaux et nous conduisit jusqu’à son chef.
J’appréhendais
quelque peu nos retrouvailles. Nous ne nous étions pas revus depuis ce jour
fatal où, cédant à mes sens, je m’étais enfui avec sa maîtresse, Arishat, qui
partageait désormais ma couche. Tout être normalement constitué aurait cherché
à laver dans le sang cet affront mais je savais que le fils de Masinissa était
d’une autre trempe. Il était capable d’être à la fois fourbe et loyal,
rancunier et oublieux des injures passées. En fait, il n’obéissait qu’à ce
qu’il croyait être l’intérêt de son royaume, confondu avec le sien, et ne se
laissait pas emporter par la passion. Je m’en aperçus aux premiers mots teintés
d’une féroce ironie qu’il m’adressa :
— Hasdrubal,
mon ami, pourquoi es-tu venu à cette entrevue revêtu de ta cuirasse et de ton
manteau de commandement ? N’importe qui pourrait croire que tu te prépares
à combattre et non à discuter avec un interlocuteur dont le seul souci est de
t’être agréable. As-tu peur que je ne cherche à me venger de l’affront que tu
m’infligeas en t’emparant d’Arishat ? Sache que je t’ai depuis longtemps
pardonné ce geste. La connaissant, je suis convaincu que tu n’as pas eu besoin
d’user de la violence pour l’emmener avec toi. En fait, elle avait depuis
longtemps décidé de s’enfuir parce qu’elle avait cessé de m’aimer ou parce
qu’elle brûlait du désir de rejoindre les siens. C’est d’elle et non de toi
dont je me vengerai un jour. Aussi point n’était besoin de venir pareillement
armé ce soir pour me rencontrer.
— Je
n’ai jamais douté de ta noblesse et de ta loyauté. Je crains simplement la
perfidie de tes alliés romains. Scipion Aemilianus donnerait cher pour
s’emparer de ma personne. Tu le sais, nos entourages grouillent d’espions et
j’ai eu peur qu’il n’ait été informé de notre rencontre. Es-tu sûr que personne
ne t’a suivi ?
— J’en
suis certain. J’ai pris toutes les dispositions nécessaires pour que mon départ
passe inaperçu. Je suis un Numide et j’aime les longues chevauchées solitaires.
Elles me changent de l’atmosphère étouffante qui règne dans le camp romain et
ce n’est pas la première fois que je disparais pendant plusieurs jours. Le
consul le sait et me laisse libre de mes mouvements.
— Visiblement,
tu n’apprécies guère la discipline romaine.
— Garde-toi
d’en tirer des conclusions hâtives. La discipline carthaginoise me répugne tout
autant. Venons-en à l’essentiel. Tu as demandé à me voir mais je suppose que ce
n’est pas avec moi que tu veux discuter.
— Au
contraire, j’ai beaucoup de choses à te dire.
— Soyons
francs. Les Romains te font peur au point que tu te terres derrière les
murailles de ta ville sans chercher à les affronter en terrain découvert. Mais
tu n’es pas venu ici pour me demander, une fois de plus, de rompre le
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