Hasdrubal, les bûchers de Mégara
propriétaires des fruits et des légumes que
certains n’hésitèrent pas à vendre à prix d’or sur les marchés. Dans tous les
endroits publics, la moindre touffe d’herbe était arrachée et certains
perdirent la vie en escaladant la muraille pour s’emparer des plantes sauvages
qui y poussaient. Les arbres et les buissons des rues et des places
disparurent, leurs feuilles et leur écorce servant à confectionner des brouets
apaisant la faim de leurs consommateurs. Dès les premiers jours, les chiens et
les animaux domestiques, y compris les oiseaux les plus rares que les riches
aimaient collectionner, furent tués et dévorés. Bientôt, la populace traqua
dans les égouts, les caves et les greniers les rats et les souris qui y
pullulaient. Rien n’y fit. Les rues étaient envahies par des cohortes d’êtres
décharnés, au visage hagard, mendiant en vain un peu de pain. Je dus multiplier
les patrouilles pour freiner la soudaine recrudescence des meurtres, des
meurtres d’autant plus difficiles à recenser que les assassins emportaient les
cadavres de leurs victimes pour les dépecer et les dévorer. Ceux qu’on arrêta
en train de se livrer à ces abominations sacrilèges furent exécutés mais cela
ne suffit pas à empêcher la multiplication des actes de cannibalisme.
Chaque
matin, des esclaves tirant avec peine de lourds chariots parcouraient les
artères de la ville pour ramasser les morts de la nuit, principalement des
vieillards et des enfants que leur faible constitution empêchait de supporter
les privations. Depuis la prise de Mégara, la nécropole où nous avions coutume
d’enterrer nos défunts était hors d’accès et l’on dut aménager, à l’extrémité
du port marchand, un vaste espace pour y brûler sur d’immenses bûchers les
victimes de la famine. Mes espions me rapportèrent que plusieurs sénateurs,
pour la plupart d’anciens partisans de Hannon le Rab, se réunissaient
secrètement pour fomenter une insurrection populaire dirigée contre Mutumbaal
et moi-même. Je fis arrêter l’un d’entre eux, un nommé Tsour, que la simple vue
de la chambre de tortures rendit doux comme un agneau. Moyennant la promesse
d’avoir la vie sauve, il me livra les noms de ses complices qui furent déférés
devant le Conseil des Cent Quatre et condamnés à mort à l’issue d’un procès
régulier.
Un soir,
alors que je regagnais l’Amirauté après avoir inspecté nos défenses, je trouvai
Himilké en larmes. Notre fils était au plus mal et le médecin grec appelé à son
chevet doutait qu’il puisse vivre plus que quelques jours. Je dois avouer que
je fus ému aux larmes par le dévouement de mes officiers qui partagèrent avec
lui leur maigre ration, lui permettant de reprendre des forces et de se tirer
d’affaire. Le spectacle de mon fils torturé par la faim me bouleversa à tel
point que, sans en référer à Mutumbaal et à ses conseillers, je pris une
décision qui, si elle avait été connue d’eux, m’aurait valu de subir le sort
jadis réservé à Hasdrubal l’étourneau. Je n’avais pas oublié le message que
m’avait fait tenir Gulussa par Bithya après que j’eus autorisé sa sœur à
quitter librement, avec ses biens et ses esclaves, notre ville. Le fils de
Masinissa m’avait alors promis son aide si je lui en faisais la demande. Certes,
je nourrissais toujours l’espoir de voir les villes puniques et les tribus
numides situées au-delà des colonnes de Melqart venir à notre secours. En
attendant l’arrivée des renforts promis – elle me fut confirmée par
des émissaires envoyés par nos ambassadeurs dans ces lointaines
contrées – il me fallait gagner du temps.
J’étais
persuadé que les Romains n’ignoraient rien de la levée en masse d’une armée
destinée à nous délivrer et que cette perspective les amènerait peut-être à
négocier un compromis mettant un terme à la guerre. Depuis plusieurs semaines,
Scipion Aemilianus avait cessé de lancer des assauts contre notre enceinte et
une partie de ses légions avait quitté son camp pour une destination inconnue.
Tout me laissait donc supposer qu’elles étaient parties en direction de Cirta,
à la demande de Micipsa et de Mastanabal, dont les territoires avaient été
envahis par nos alliés. Le fait qu’elles tardent à revenir signifiait peut-être
qu’elles avaient subi un revers cuisant et je pouvais donc espérer tirer profit
de cette situation pour négocier un armistice ou une
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