Hasdrubal, les bûchers de Mégara
conduite de la guerre et ne tarissaient pas d’éloges à notre
égard. Cette fois-ci, le vent avait tourné en notre défaveur en dépit des
efforts déployés par Mutumbaal pour calmer les esprits. Quand j’eus terminé mon
exposé relatant les précautions que j’avais prises pour renforcer nos
fortifications, un nommé Zaboq, qui vouait à ma famille, pour des raisons
mystérieuses, une haine féroce, m’interrompit :
— Hasdrubal,
nul ne conteste ton dévouement et tes capacités, mais tes explications sont
incomplètes. Voilà plusieurs semaines qu’aucun convoi de ravitaillement n’est
parvenu à Carthage en provenance du Beau Promontoire.
— Rien
de plus normal puisque les Romains ont coupé nos communications terrestres.
— Comment
comptes-tu assurer dans ces conditions la subsistance de notre
population ?
— Nous
disposons de réserves suffisantes pour passer la mauvaise saison à condition
toutefois d’instaurer un strict rationnement des denrées alimentaires. Il me
paraît indispensable que votre Conseil ordonne aux Carthaginois de remettre
tous leurs stocks de nourriture aux greniers publics. En échange de quoi chacun
recevra, tous les mois, le blé, l’huile et le vin dont il a besoin, en fonction
de la taille de sa famille et du nombre de ses serviteurs. Aucun ne mourra de
faim, je puis vous l’assurer, mais il n’est plus question d’organiser des
banquets ou des fêtes et de gaspiller les réserves existantes.
— Crois-tu
que nos concitoyens acceptent de se défaire de leurs stocks de leur plein
gré ?
— Nous
avons déjà dans le passé opéré des perquisitions dans certaines maisons dont
les propriétaires, parmi lesquels se trouvaient des membres de cette illustre
assemblée, avaient pris soin d’amasser des denrées achetées illégalement.
Pendant que nous parlons, mes soldats parcourent la ville et fouillent les
caves et les greniers des palais, des temples et des immeubles où s’entasse la
populace. Leur récolte devrait être fructueuse et quiconque tentera de leur
résister sera condamné à une lourde amende. Si, à l’avenir, des dénonciations
nous signalaient l’existence de caches de nourriture, les contrevenants,
sachez-le, seraient immédiatement rayés des rôles de distribution des rations
et condamneraient ainsi les leurs à une mort lente.
— Tu
abuses de ton autorité, tonna Zaboq. Tu es certes le commandant en chef de
l’armée mais tu n’es pas le maître de cette ville. Tu dois obéissance au
Conseil et je puis te garantir que celui-ci ne te laissera pas empiéter sur ses
prérogatives.
— Trembles-tu
pour les boisseaux de blé et d’orge dont regorge, paraît-il, ton palais ?
Contrairement à ce que tu penses, je n’ai pas l’âme d’un dictateur et si j’ai
choisi la carrière militaire, c’est parce que je n’avais aucune envie de siéger
parmi vous et de succéder, le moment venu, à mon père. Mais, dans la situation
qui est la nôtre aujourd’hui, nul ne peut se targuer de sa naissance ni de ses
fonctions pour obtenir un traitement de faveur. Ma femme et mes enfants, je le
jure par Baal Eshmoun, ne recevront ni plus ni moins qu’un humble portefaix et
toi-même, tu devras te contenter de la ration qui te sera octroyée par les
intendants de notre cité. Si le dévouement à la chose publique est pour toi une
forme de dictature, j’ose espérer que tu t’y soumettras sans discussion. Le
peuple doit savoir que ses magistrats sont les premiers à montrer l’exemple.
Faute de quoi il risque de nous faire payer très cher cette entorse à la loi
commune.
— En
admettant que ce système soit instauré et fonctionne correctement, me demanda
Mutumbaal, combien de temps pouvons-nous tenir ?
— Environ
six mois.
— Que
se passera-t-il après ?
— Au
retour de la belle saison, la grande mer redeviendra navigable et nous
recevrons les cargaisons de blé que j’ai commandées en Egypte et en Gaule. De
plus, vous le savez, nous avons dépêché des ambassadeurs auprès des cités
puniques situées au-delà des colonnes de Melqart. Les messages que j’ai reçus
de nos émissaires sont très encourageants. Nos frères de race sont décidés à
voler à notre secours et recrutent des troupes indigènes dans les populations
locales qui vouent une haine féroce à Gulussa et à ses frères. Quand cette
armée se mettra en marche, les fils de Masinissa, pour protéger leur capitale,
devront abandonner leurs alliés
Weitere Kostenlose Bücher