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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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crise.
Certes, je n’en étais pas encore conscient, mais, avant même le début des
hostilités, nous avions déjà perdu la guerre et ce même si nous avions disposé
d’une armée supérieure en nombre à celle de nos adversaires. Je frémis de rage
en dictant cette phrase à Magon mais Carthage a péri dans les flammes parce
qu’elle n’avait plus en elle la volonté de vivre, ses citoyens étant devenus
étrangers les uns aux autres et incapables d’opposer à l’ennemi un front
commun.
    Un signe
aurait dû m’alerter : la rupture, au début imperceptible, entre Hannon le
Rab et Azerbaal. Le premier, contrairement à toute attente, n’avait manifesté
aucune inquiétude en prenant connaissance du rapport de Marcus Porcius Caton.
Son calcul était d’une naïveté déroutante. Masinissa s’était emparé de riches
terres agricoles mais il ne disposait pas de la main-d’œuvre nécessaire pour
les exploiter. Certes, les esclaves des colons carthaginois étaient restés sur
place mais leurs maîtres étaient les seuls à maîtriser les techniques
indispensables pour faire pousser d’abondantes récoltes et transformer les
raisins en un vin lourd et capiteux. De surcroît, les acheteurs de ces produits
habitaient Carthage et un édit du Conseil des Cent Quatre interdit à nos
concitoyens de commercer avec les régions annexées. Quant aux négociants
romains installés à Cirta [2] , ils y réfléchiraient à deux fois avant d’acheter ladite production.
Hannon le Rab avait fait savoir aux Fils de la Louve qu’un tel geste serait
considéré comme inamical. Ravi de jouer un mauvais tour à Marcus Porcius Caton,
Publius Cornélius Scipion Corculum avait fait interdire l’entrée du port
d’Ostie aux marchandises en provenance des Grandes Plaines et de Tysca sous
peine de lourdes amendes imposées aux contrevenants. Masinissa était donc ainsi
à la tête de terres dont l’entretien grèverait lourdement son budget. Tôt ou
tard, il chercherait à négocier un accord et rendrait les territoires conquis
moyennant le versement d’une centaine de talents.
    Cette
stratégie n’était pas du goût d’Azerbaal, pourtant jusque-là allié indéfectible
de son beau-frère et que mes amis n’hésitaient pas à considérer comme
responsable de l’arrestation et de l’exil de dizaines d’entre eux. Or, depuis
son voyage à Rome, il avait changé du tout au tout. Comme tous les êtres
fourbes, il conservait en lui un restant d’honnêteté. C’était son jardin
secret, sa raison secrète de vivre sans totalement déchoir à ses propres yeux.
Il avait trop sincèrement cru aux promesses de Rome pour ne pas être ulcéré par
la mauvaise foi de Marcus Porcius Caton. Excessif comme seuls peuvent l’être
les gens de sa trempe, il avait sombré dans le désespoir et s’était retiré dans
sa luxueuse propriété de Mégara, ruminant son chagrin et sa colère.
    Un matin,
il se présenta devant le Conseil des Cent Quatre dont je commandais la garde,
dignité qu’on m’avait accordée pour me remercier de mes bons et loyaux services
durant mon séjour à Rome et la visite de Caton. D’une voix cassée par
l’émotion, Azerbaal s’adressa à ses collègues :
    — Magistrats
de la plus belle cité du monde, c’est pour moi un honneur insigne que de siéger
parmi vous. Je dois maintenant renoncer à ce privilège pour des raisons qu’il
m’est pénible d’exposer devant vous. Depuis vingt ans, je consacre toute mon
énergie à la vie publique et, pour cela, j’ai négligé mes intérêts personnels.
Mes intendants en ont profité pour me gruger et je me trouve aujourd’hui dans
une situation financière catastrophique. La quasi-totalité de mes propriétés
est hypothéquée et mes créanciers, de véritables vautours, ne sont prêts à
m’accorder un répit qu’à la condition que je mette moi-même de l’ordre dans mes
affaires et que je chasse ceux qui ont abusé de ma confiance. Vous le savez,
j’appartiens à l’une des plus illustres lignées de cette ville et je ne puis
priver mes enfants de l’héritage qui leur revient de droit. Aussi est-ce le
cœur lourd que je vous supplie de me décharger provisoirement de mes fonctions
et de m’autoriser à me retirer dans mes terres.
    Ses
collègues firent mine de le croire. Les uns n’ignoraient pas que ses propos contenaient
une part de vérité. Habitués à mener grand train de vie, les aristocrates
carthaginois avaient pris la fâcheuse

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