Hasdrubal, les bûchers de Mégara
habitude de s’endetter et Azerbaal
pouvait donc compter sur la compréhension de nombreux sénateurs tout aussi
désargentés que lui. Les autres étaient trop heureux de le voir s’éloigner pour
un temps de la scène publique. Si les pourparlers avec Masinissa aboutissaient,
il ne pourrait en retirer aucun bénéfice et cela les comblait d’aise. Aussi lui
octroya-t-on le congé qu’il sollicitait.
Azerbaal
partit donc sur-le-champ pour ses domaines du Beau Promontoire. Par mes agents,
j’appris qu’il fréquentait assidûment le marché d’Aspis, surveillant en
personne la vente de ses récoltes à de prospères négociants romains. Ses
anciens amis ne tardèrent pas à se gausser de ce rustaud qui, après avoir
dialogué avec les puissants de ce monde, en était désormais réduit à parler au
cul de ses vaches. Je ne fus pas le dernier à rire de lui afin de donner le
change.
En fait,
je savais que sa soudaine passion pour les choses de la terre était le seul
prétexte qu’il avait trouvé pour quitter Carthage sans éveiller les soupçons de
son beau-frère Hannon le Rab. Il lui fallait à tout prix être loin des regards
indiscrets pour recevoir un homme dont tout le séparait : moi-même. Je
l’ai dit, à l’époque, j’étais devenu un personnage important en dépit de ma
jeunesse. A mon retour de Rome, j’avais été désigné comme boétharque,
c’est-à-dire comme chef des auxiliaires de l’armée. J’avais sous mes ordres les
quelques centaines de mercenaires demeurés au service de notre ville. Pareille
distinction m’avait valu d’être ardemment courtisé par les chefs du parti
démocratique favorable à la reprise de la guerre avec Rome. J’avais fait mine
de repousser leurs avances mais j’étais devenu en secret un des leurs.
Renseigné par ses espions, Azerbaal l’avait appris et il entendait mettre à
profit les relations que nous avions nouées lors de notre séjour à Rome pour
prendre langue avec mes amis.
Au début,
ceux-ci se montrèrent plutôt réticents à l’idée de s’allier à celui qui les
avait persécutés durant des années. Il me fallut beaucoup d’habileté afin de
leur expliquer qu’Azerbaal, pour une fois, ne jouait pas double jeu. La
déconvenue qu’il avait essuyée auprès des Pères conscrits lui avait ouvert les
yeux. Il pressentait que leur refus d’intervenir dans le conflit avec Masinissa
dissimulait une adhésion tacite aux cruels desseins de Marcus Porcius Caton.
Face à cette menace, il avait compris que tous les patriotes carthaginois devaient
oublier leurs dissensions et unir leurs forces afin de sauver leur ville de la
destruction.
Les
dirigeants du parti barcide m’autorisèrent donc à entamer des discussions avec
lui. Ils ne risquaient pas grand-chose en prenant cette décision. Officiellement,
je n’étais point l’un d’entre eux et ils pourraient toujours, le cas échéant,
me désavouer. Officieusement, il ne leur déplaisait pas de sonder les reins et
le cœur de mon interlocuteur, quitte à se targuer, par la suite, d’avoir été
les véritables instigateurs de son ralliement à notre cause. Nous dûmes
redoubler de prudence pour organiser une rencontre sans éveiller les soupçons
de Hannon le Rab. Celui-ci entretenait une nuée d’espions et je devais faire
preuve de la plus grande prudence. Fort heureusement, un homme vint à ma
rescousse, mon ancien précepteur, Aristée. Il vivait toujours dans notre palais
de Mégara et mon père lui versait une modeste pension pour le remercier de ses
services. Nous montâmes une ruse qui nous amusa beaucoup. Mon vieux professeur
fit mine de s’être fâché avec moi et clama partout qu’il devait trouver un
nouvel emploi.
Or
Azerbaal avait des enfants en âge d’étudier et il le prit à son service après
qu’Aristée lui eut rendu visite.
Celui-ci
revint à Mégara pour prendre ses affaires et put donc me transmettre une lettre
de son nouveau maître, fixant les conditions de notre rencontre dans sa
propriété du Beau Promontoire. Restait à trouver le moment propice. Or, Hannon
le Rab m’annonça qu’il s’absentait quelques jours de Carthage pour une partie
de chasse en compagnie de mon père. Il me proposa de me joindre à eux. Je fis
semblant d’être flatté par son invitation mais, l’air gêné, je lui confiai que
j’avais un rendez-vous galant avec la fille d’Itherbaal, le chef de la faction
pro-numide au sein du Conseil des Cent Quatre. La jeune
Weitere Kostenlose Bücher