Hasdrubal, les bûchers de Mégara
foulent le sol de l’Afrique. Publius Cornélius
Scipion Corculum, déjà favorablement disposé à notre égard, en tirera les
conséquences et entérinera la situation ainsi créée tout en abreuvant Masinissa
de paroles consolatrices.
— Nous
avons donc tout intérêt à déclencher les hostilités comme je l’avais suggéré
dès le début de cette affaire.
— Oui.
Pour cela, il nous faut disposer de la majorité au sein du Conseil des Cent
Quatre. Tu n’ignores pas que la moitié de ses membres appartient à la faction
d’Hannon le Rab, hostile à toute opération militaire. La plupart sont trop
timorés pour prendre pareille décision, contraire aux dispositions du traité
signé avec Scipion l’Africain. Ce n’est pas tout. Nous devons compter aussi
avec les membres du parti pro-numide que les agents de Masinissa abreuvent d’or
et de cadeaux pour acheter leurs consciences et leurs votes.
— Dans
ce cas, nous devons conjuguer nos efforts dans le plus grand secret. Je suis
persuadé qu’au sein de sa faction tu disposes encore d’amis sûrs, capables de
rallier à tes vues les hésitants s’ils sont avertis des dangers qui pèsent sur
notre cité et de la nécessité de donner un coup d’arrêt aux empiétements
intolérables de nos voisins.
— C’est
bien ce que je me propose de faire, Hasdrubal. Je suis persuadé qu’une centaine
de sénateurs sont prêts à me suivre. Cela signifie toutefois un renversement
des alliances au sein du Conseil des Cent Quatre.
— Je
le sais et c’est ce qui me paraît le plus difficile à réaliser. Mes amis ont dû
endurer bien des brimades et des humiliations après que vous avez pris le
contrôle du Conseil. Certains ont été emprisonnés, d’autres exilés ou condamnés
à de lourdes amendes. Ces mésaventures ont créé des ressentiments et des haines
difficiles à effacer.
— La
perspective pour eux de revenir au pouvoir, avec tous les avantages que cela
suppose, les consolera au centuple de leurs déboires passés. Après tout, mes
propres partisans ont aussi des griefs à votre encontre. Du temps de leur
splendeur, vos chefs, les Barca, ne se sont pas mieux comportés envers leurs
adversaires. Nous sommes donc quittes. Crois-moi, il est temps de tirer un
trait sur ces polémiques stériles et de penser au futur.
— Sur
ce point, Azerbaal, je ne puis que te donner raison. Quels sont tes
plans ?
— Nous
devons disposer d’un motif sérieux pour déclarer la guerre à Masinissa et le
rendre responsable du début des hostilités. Je compte quelques bons amis parmi
les Numides. L’un de leurs généraux, Bythias, est profondément courroucé contre
l’un des fils du roi, Mastanabal, devenu l’amant de sa femme. Il fait mine de
ne rien savoir afin d’éviter une disgrâce plus humiliante que ses déboires
conjugaux. Mais il lui tarde de se venger et j’ai fait discrètement appel à ses
services. Nous avons mis au point le stratagème suivant : certains de ses
hommes attaqueront l’un de nos villages qu’ils incendieront et dont ils
chasseront les habitants.
Leur
visage sera soigneusement dissimulé afin qu’on ne puisse les identifier.
Nos
paysans, apeurés et ruinés, se réfugieront à Carthage et le spectacle de leur
infortune tirera des larmes aux plus endurcis de nos concitoyens. Mes agents et
les tiens en profiteront pour donner le signal d’une insurrection populaire et
nous obligerons le Conseil des Cent Quatre à bannir ceux de ses membres
partisans de Masinissa. A partir de ce moment, nous pourrons mettre Hannon le
Rab en minorité et lancer une expédition punitive contre notre voisin en
plaidant la légitime défense.
— Ton
plan me paraît judicieux et tu peux être assuré de mon appui. Maintenant, il
est temps d’aller dormir. Demain, je rentrerai à Carthage par des chemins
détournés et nous aurons l’occasion de nous revoir sous peu afin de passer à
l’action.
Un matin,
les sentinelles en faction sur la tour surplombant la porte d’Utique
distinguèrent dans le lointain un nuage de poussière. Leur officier, redoutant
une incursion de pillards, ordonna à une forte escouade de cavaliers de partir
en reconnaissance. A leur retour, les éclaireurs le rassurèrent à moitié. Il ne
s’agissait pas d’une troupe ennemie mais d’une longue colonne de réfugiés,
forte de plusieurs centaines de personnes, venant d’une bourgade située à la
limite des Grandes Plaines et du territoire
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