Hasdrubal, les bûchers de Mégara
dispersées aux quatre coins de l’Italie, de la Grèce et de l’Orient.
Pour vous nourrir, vous avez recours aux livraisons de blé, d’huile, de vin et
de viande des peuples que vous avez soumis ou des vastes propriétés
qu’exploitent pour vos patriciens des centaines de milliers d’esclaves.
— Ne
faisiez-vous pas de même autrefois ?
— Oui
mais nous avons perdu toutes nos possessions de l’autre côté de la grande mer.
De plus, mes concitoyens sont des gens pacifiques. Ce sont des marins, des
commerçants, des artisans ou des paysans qui répugnent au métier des armes.
Quand nous faisions la guerre, nous devions engager à prix d’or des mercenaires
car mes compatriotes n’étaient pas assez nombreux pour former une armée digne
de ce nom.
— Pourtant,
tu es officier. Ne me dis pas que tu n’as pas d’hommes sous tes ordres.
— En
nombre bien insuffisant et la plupart sont des étrangers dont le courage est
fonction de la solde que nous leur versons. Notre armée nous suffit à peine
pour assurer l’ordre à Carthage et pour protéger nos garnisons aux frontières.
D’ailleurs, quand Masinissa a envahi les Grandes Plaines, nous n’avons pu
envoyer de renforts pour endiguer son avance.
— Ce
qui ne vous empêche pas de solliciter notre autorisation pour lui déclarer la
guerre afin de récupérer vos biens.
— Les
Numides sont nos voisins et nous avons longtemps vécu en bonne entente. Nous ne
souhaitons pas envahir leurs terres et y porter la désolation. Si Rome fait
savoir au vieux roi qu’il doit se retirer des territoires qu’il a conquis, nous
n’aurons pas à nous battre.
— Je
vais te parler franchement, Hasdrubal : que ferez-vous si notre Sénat se
refuse à vous donner satisfaction ?
— C’est
une hypothèse que je préfère écarter car elle prouverait que ta cité viole la
parole donnée devant l’autel de ses dieux. Je te sais assez pieux pour redouter
en ce cas la vengeance de ceux-ci.
— Tu
as réponse à tout et je dois t’avouer que tu es le premier Carthaginois capable
d’ébranler mes convictions. Je comprends maintenant pourquoi Hannon le Rab et
les tiens t’ont choisi pour m’accompagner durant cette visite. Mais c’est avec
eux que je dois maintenant m’entretenir de choses sérieuses.
Préviens-les
que je souhaite les rencontrer le plus rapidement possible.
Je
transmis cette demande à mon père en lui rapportant fidèlement les paroles de
mon interlocuteur. Mutumbaal me félicita chaleureusement de ma conduite et
rendit compte à Hannon du tour heureux que prenaient les événements. Ce fut là
son erreur. Car le beau-frère d’Azerbaal n’entendait pas laisser à ma famille
le mérite d’avoir su écarter la menace de guerre et obtenir de Rome qu’elle
désavoue Masinissa. S’il s’était contenté d’accorder une audience à Marcus
Porcius Caton en présence des membres du Conseil des Cent Quatre, je crois
sincèrement qu’un compromis aurait été trouvé, ménageant les susceptibilités
des parties en présence. Mais Hannon le Rab était trop imbu de ses prérogatives
pour se satisfaire de ce résultat. Il était le maître de notre cité et ne
voulait pas que mon père bénéficie d’un surcroît de popularité.
Aussi
prit-il une initiative qui constitua une maladresse lourde de conséquences.
Sachant que Marcus Porcius Caton était passionné d’agriculture, il l’invita à
passer quelques jours dans l’une de ses propriétés du Beau Promontoire pour y
observer les travaux des champs et pour négocier seul à seul avec lui. Le chef
carthaginois estimait que, de la sorte, son invité se rendrait compte que sa
cité se préoccupait uniquement de rentabiliser l’intérieur des terres,
abandonnant ainsi tout rêve d’expansion au-delà des mers.
Le Romain
fut au début ravi de cette escapade à la campagne. Il interrogea longuement les
paysans sur les techniques qu’ils utilisaient pour obtenir d’aussi belles
récoltes. Visiblement, il comptait enrichir son fameux traité de quelques
chapitres supplémentaires. Hannon le Rab respira. À tort. Car, au fur et à
mesure qu’il découvrait les formidables potentialités de l’économie
carthaginoise, Marcus Porcius Caton sentait sa haine se raviver. Les richesses
impudemment étalées sous ses yeux constituaient pour lui une insulte à la
relative pauvreté de Rome dont les conquêtes avaient épuisé les finances.
L’ennemi était certes vaincu mais
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