Hasdrubal, les bûchers de Mégara
cette dernière.
Pendant de
longues semaines, nous vécûmes dans l’expectative. Rome tardait à envoyer son
ambassadeur et nos compatriotes installés sur les bords du Tibre nous avaient
avertis que Marcus Porcius Caton continuait à siéger au Sénat comme si de rien
n’était. Puis il partit pour ses terres sous prétexte de vérifier les comptes
de ses intendants. Nos espions s’assurèrent de la réalité du fait et nous nous
demandions quand ce maudit Romain se déciderait à remplir la mission dont il
avait été chargé.
Un matin,
un courrier du Conseil des Cent Quatre vint à Mégara m’informer qu’une trirème
romaine était sur le point d’entrer dans le port. J’eus à peine le temps de
sauter à cheval pour être là quand Marcus Porcius Caton débarquerait. Ayant
trompé la vigilance de nos informateurs, il avait quitté sa propriété pour
Rhégium où un navire l’attendait. Il voulait nous surprendre et je le compris
tout de suite quand il me demanda de le conduire sur-le-champ au cothôn, le
port militaire, qu’il soupçonnait regorger de bateaux de guerre. Il en fut pour
ses frais. L’endroit ne contenait, en tout et pour tout, que les dix trirèmes
en piteux état que notre ville avait eu le droit de conserver après la défaite
de Zama. Ces misérables bâtiments étaient tout ce qui restait de l’imposante
flotte de guerre punique d’antan qui nous avait permis de régner sur la grande
mer. Leurs capitaines et leurs marins erraient, désœuvrés, et l’interrogatoire
auquel ils furent soumis par le Romain – je fis office
d’interprète – ne fut qu’une longue suite de plaintes et de
récriminations. Les officiers se plaignirent de ne pouvoir sortir en mer que
fort rarement et d’être dans l’incapacité d’assurer la protection des convois
de bateaux marchands contre les pirates qui opéraient à partir de la Sardaigne
ou de la Corse, attaquant indistinctement nos bateaux et ceux de Rome. Dans la
foulée, nous visitâmes les arsenaux militaires où quelques centaines d’ouvriers
réparaient tant bien que mal des armes en mauvais état et des cuirasses
bosselées. La quasi-totalité d’entre eux étaient des esclaves que nous avions
achetés après la disparition brutale de ceux qui avaient été employés à
Oroscopa et ils ignoraient tout de l’existence des stocks que nous avions
dissimulés dans la campagne autour de mon ancienne garnison.
Les jours
suivants furent consacrés à l’inspection des murailles de Carthage. Elles
étaient en bon état mais je pus faire remarquer à mon irascible compagnon que
les casernes, où vivaient jadis des milliers d’hommes, n’en abritaient plus que
quelques centaines et que nous ne disposions que d’un millier de cavaliers.
L’air méfiant, il me demanda :
— Où
sont vos machines de guerre ? Où sont vos éléphants ?
— Les
premières ont été détruites sur ordre de Publius Cornélius Scipion l’Africain
et nous n’avons pas cherché à en construire de nouvelles puisque, jusqu’à
l’intrusion dans la région des Grandes Plaines de vos alliés numides, la paix
régnait dans ces contrées. Quant aux animaux qui faisaient jadis la gloire de
nos armées, je puis te montrer quelques vieux pachydermes qui attendent de
mourir de leur belle mort. Nous n’avons pas les moyens d’en acheter de nouveaux
car il nous faudrait lancer des expéditions de chasse et celles-ci coûtent
cher. Or, jusqu’à l’année dernière, nous devions vous verser un très lourd
tribut et les caisses de notre Trésor, après l’envoi desdites sommes, étaient
désespérément vides. Il nous aurait fallu lever de nouveaux impôts mais le
peuple était écrasé par les taxes et n’aurait pas manqué de se révolter si nous
avions voulu le pressurer un peu plus.
— Tu
semblés regretter de n’avoir pas été en mesure de te procurer des éléphants.
— Crois-tu
qu’il soit agréable à un jeune Carthaginois de voir sa cité réduite à ne pas
pouvoir se défendre quand elle est attaquée ? Que dirais-tu si tu te
trouvais à ma place et me faisais visiter une Rome vaincue ? À n’en point
douter, ton cœur serait empli d’amertume et de honte !
— Je
ne rêverais que d’une chose : me venger et infliger à nos vainqueurs une
défaite cuisante.
— Tu
parles en Romain. Ton peuple est un peuple guerrier. Vos paysans et vos
citadins passent la plus grande partie de leur jeunesse à servir dans vos
légions
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