Hasdrubal, les bûchers de Mégara
fille, dis-je, était
tombée éperdument amoureuse de moi, à la grande fureur de ses parents, et je
suppliai Hannon de ne pas contrarier nos projets. Cela le fit beaucoup rire et
il m’accorda libéralement une permission.
Un soir,
alors que la nuit commençait à tomber, deux coureurs à pied se présentèrent aux
portes du domaine d’Azerbaal pour l’avertir de mon imminente arrivée. J’avais
voyagé à bord d’une litière portée par huit robustes Éthiopiens aux muscles
saillants. Je ne fus pas fâché de m’extirper de ma prison ambulante et de poser
le pied sur le sol. Mon hôte m’attendait à l’entrée de sa maison.
— Sois
le bienvenu, me dit-il d’un ton affable. Je te sais gré d’avoir accepté ma
proposition et je te prie de bien vouloir excuser les précautions singulières
que j’ai dû prendre afin que nous nous rencontrions. La ville, tu le sais,
grouille d’espions à la solde du Conseil des Cent Quatre et ceux-ci n’auraient
pas manqué d’informer Hannon le Rab s’ils m’avaient vu pénétrer dans ton palais
de Mégara. As-tu vérifié que personne ne t’a suivi ?
— Ne
t’inquiète pas. J’ai laissé quelques mercenaires triés sur le volet en
arrière-garde. Ils ont l’ordre d’arrêter tout passant suspect et je leur fais
confiance pour se débarrasser d’éventuels importuns. Cessons de parler de ces
détails. Il me tarde d’apprendre ce que tu as à me dire.
— Entrons
dans ma demeure : nous y serons plus à l’aise pour deviser.
La villa
d’Azerbaal regorgeait de richesses sauvées de la cupidité de ses
créanciers : statues importées de Grèce, lourds meubles dorés provenant
des meilleurs ateliers d’Alexandrie, torchères et tables fabriquées en Sicile,
lourdes tentures d’origine tyrienne, peaux de panthères et défenses sculptées
d’éléphants amenées de l’intérieur des terres par les nomades garamantes.
Couchés sur de confortables lits de repos, nous prîmes une légère collation en
devisant sur les travers de nos connaissances communes. Quand les esclaves
eurent emporté les reliefs du repas, Azerbaal entra dans le vif du sujet :
— Hasdrubal,
mon séjour sur les bords du Tibre m’a ouvert les yeux. Certes, tous les Romains
ne souhaitent pas notre disparition mais les plus fidèles de nos amis dans
cette ville ne sont pas prêts à prendre notre défense contre Masinissa.
Pourtant, il ne leur aurait pas été difficile de faire preuve de fermeté envers
lui. Il leur doit tout et il n’est rien sans eux. Son peuple est un ramassis
d’aventuriers et de rebelles prêts à servir celui qui leur promettra le plus de
rapines et de pillages. Il a pu se maintenir sur son trône uniquement parce que
des détachements romains stationnent en permanence dans sa capitale, Cirta,
sous prétexte de veiller à la sécurité d’une centaine de négociants italiens.
Rome n’a qu’un mot à dire pour se faire obéir de lui. Voilà pourquoi
l’indulgence dont elle fait preuve à son égard me paraît être de mauvais
augure.
— Crois-tu
que le Sénat ait été au courant de ses projets et l’ait autorisé à s’emparer
des Grandes Plaines ?
— Non.
Je suis persuadé qu’il a agi de sa propre initiative. Il voulait sonder notre
capacité de résistance et notre degré d’influence sur les bords du Tibre. A la
moindre rebuffade des Romains, il aurait retiré ses troupes en prétextant
hypocritement que ses généraux avaient profité de sa maladie pour se lancer
dans une pareille expédition. N’oublie pas qu’il a plus de quatre-vingts ans et
que les séquelles des blessures reçues au combat le tiennent souvent alité des
semaines durant, l’empêchant de diriger son royaume. Ce vieux renard avait donc
un alibi tout prêt si les Romains condamnaient son geste mais il n’a pas eu
besoin de l’utiliser.
— Pourtant,
fis-je, le Sénat a remis à son fils un message condamnant sans équivoque son
initiative.
— Sans
doute, rétorqua Azerbaal, mais notre farouche ennemi Marcus Porcius Caton a
tout fait échouer en rédigeant, après son retour d’Afrique, le rapport dont tu
connais la teneur. Entre nous et Masinissa, Rome a décidé de ne pas choisir
mais d’observer qui sortira vainqueur de cette épreuve de force. Si nous
déclarons la guerre, en dépit du veto qui nous a été signifié, il nous sera
possible d’écraser ses troupes avant que les légions romaines, qu’il aura
appelées à la rescousse, ne
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