Hasdrubal, les bûchers de Mégara
jamais aussi que vous devez la vie à Hannon le
Rab contre lequel vous avez conspiré de la manière la plus déloyale qui soit et
tirez-en les leçons qui s’imposent. Maintenant, le moment est arrivé de nous
séparer. Glissez-vous à bord de ce navire et que la bienfaisante Tanit vous
protège tout le long de votre route.
***
Notre
fuite ne tarda pas à être connue de tous. Lors d’une réunion agitée du Conseil
des Cent Quatre, Hannon le Rab prit violemment à partie Itherbaal, fustigeant
la conduite indigne de ses gardes et se demandant ironiquement s’il ne fallait
pas y voir un geste délibéré. Après tout, les fugitifs comme le chef du parti
pro-numide appartenaient à l’opposition et, surmontant leurs anciens
antagonismes, pouvaient avoir été tentés de sceller un pacte dirigé contre le
principal magistrat de la cité. A peine rentré d’exil, le coupable désigné,
conscient qu’il se trouvait en minorité, jugea préférable de ne pas affronter
son rival et, l’air faussement contrit, annonça à ses collègues que ses hommes
paieraient de leur vie leur faute. En dépit de leurs protestations d’innocence,
ils furent conduits en dehors de l’enceinte de la ville et crucifiés. Certains
des suppliciés agonisèrent durant plusieurs jours et l’on entendait
distinctement, au début du moins, leurs cris de douleur.
Cette
sentence avait permis à Hannon le Rab de réaffirmer son autorité sur ses concitoyens
à un moment où il était confronté à des difficultés innombrables. Depuis la
dramatique capitulation de ses troupes à Oroscopa, Carthage se trouvait sans
armée digne de ce nom même si des agents recruteurs, munis de fortes sommes
d’argent, avaient été envoyés en Grèce et en Gaule pour engager de nouveaux
mercenaires. Il s’agissait avant tout de prévenir un éventuel coup de force des
Numides contre des citadelles et des garnisons éloignées, voire de dissuader
certains comptoirs puniques de faire dissidence. Mais, dans les palais de
Mégara comme dans l’enceinte du Sénat, toutes les conversations roulaient sur
l’attitude qu’allait adopter Rome. La présence de Publius Cornélius Scipion
Aemilianus aux côtés de Masinissa et de ses fils avait de quoi inquiéter les
citoyens les plus favorablement disposés envers les Fils de la Louve. Sans nul
doute, le jeune homme, de retour dans sa patrie, n’avait pas manqué de dresser
un tableau singulièrement pessimiste de la situation dans laquelle se trouvait
la cité d’Elissa, autant d’arguments de nature à renforcer le camp des
disciples de Marcus Porcius Caton. Quelques négociants carthaginois, de retour
d’Italie, semèrent l’émoi en révélant que, sitôt le désastre d’Oroscopa connu,
Rome avait procédé à des levées en masse de soldats chez ses alliés et que
d’importants contingents affluaient du Bruttium, de Campanie, d’Apulie et de
Ligurie vers Ostie où les ouvriers des arsenaux rivalisaient d’ardeur pour
construire plusieurs dizaines de trirèmes et de quinquérèmes.
Convoqué
par Hannon le Rab, le Conseil des Cent Quatre se réunit sans discontinuer
pendant plusieurs heures dans l’enceinte du temple d’Eshmoun pour discuter de
l’envoi éventuel d’une ambassade à Rome. Les débats furent d’une rare violence
car chaque camp en présence, persuadé de la justesse de son point de vue,
entendait le faire adopter. Seul dirigeant encore en liberté de l’ancien parti
barcide, Himilcar le Sammite fut le premier à prendre la parole et se lança
dans une violente diatribe contre la cité de Scipion :
— Il
ne sert à rien de se bercer d’illusions et de croire que nos ennemis les plus
farouches se laisseront attendrir par quelques délégués venus, chargés de
présents, la bouche dégoulinant de belles paroles rassurantes, implorer leur
clémence. Je les vois déjà dans la curia Hostilia rappeler toutes les actions
généreuses dont nous pouvons nous targuer, par exemple l’aide que nous avons
apportée aux Fils de la Louve alors qu’ils étaient en guerre contre Persée de
Macédoine. A l’époque, ils avaient tellement peur de voir toute la Grèce se
révolter contre eux qu’ils nous ont considérés comme des sauveurs. Sitôt ce
malheureux roi défait, nous avons cessé d’être utiles à leurs yeux et c’est la
raison pour laquelle Masinissa a pu s’emparer de nos possessions en toute
impunité. Tant que Persée était en vie, Rome nous ménageait par
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