Hasdrubal, les bûchers de Mégara
crainte que
nous ne fassions alliance avec lui comme Hannibal l’avait fait avec Philippe de
Macédoine. Nous aurions été bien avisés d’agir de la sorte en ordonnant à ce
qui restait de notre flotte de guerre d’arraisonner en haute mer les navires
romains. Aussitôt, nous aurions vu débarquer ici en suppliants les sénateurs
porteurs d’un nouveau traité de paix infiniment plus avantageux pour notre
ville. Or nous avons préféré suivre les conseils de Hannon le Rab.
— Et
ceux-ci étaient excellents, rétorqua l’intéressé.
— À
tes yeux et à ceux de ton parti, sans nul doute, fit Himilcar. À ceci
près – et ce n’est pas une chose négligeable – que vous
avez agi moins par amour de vos concitoyens que par souci de respectabilité.
Car, il faut que cela soit dit, toi et les tiens vous comportez comme si vous
aviez secrètement honte d’être carthaginois. Depuis des années, vous rougissez
de honte lorsque les Romains évoquent à notre propos la « perfidie
punique ». Ce grief vous torture tellement que vous cherchez par tous les
moyens à vous laver de cette accusation en adoptant à l’égard de notre ennemi
une attitude servile et obséquieuse. Vous êtes prêts à tout accepter pour que
l’on vous cajole de mots doux et que l’on vous abreuve de compliments. Vous
vous trémoussez de plaisir lorsqu’un Publius Cornélius Scipion Corculum vante
votre loyauté et affirme que vous êtes différents d’Hamilcar et d’Hannibal.
Or ce que
les Romains nomment loyauté chez les autres peuples, c’est la soumission à
leurs propres intérêts. Ce qu’ils appellent perfidie, c’est la manière dont
usent les nations pour se défendre contre leur soif de domination et leur
volonté de s’emparer de toutes les terres connues. Pourtant, en matière de ruse
et de cautèle, les descendants de Romulus peuvent largement nous en remontrer.
Leurs négociateurs n’ont pas encore conclu un traité qu’ils imaginent déjà les
moyens d’en violer les dispositions. Il est temps, grand temps, que notre
peuple se ressaisisse et retrouve le sens de l’honneur.
— De
quelle façon ? demanda Hannon le Rab.
— En
prenant les devants, martela Himilcar le Sammite, et en attaquant Rome avant
qu’elle ne soit devenue trop puissante.
— Où
sont les formidables armées qui nous permettront de réaliser pareil
exploit ? interrogea un sénateur. Dis-nous où sont cachés les centaines
d’éléphants, les milliers de chevaux et les innombrables détachements de
mercenaires dont tu disposes pour fondre sur les légions romaines ? Je
suppose que tu les as rassemblés en puisant dans ta fortune personnelle car
notre ville n’a pas les moyens de le faire. Si tel est le cas, je serai le
premier à demander qu’on t’érige une statue pour récompenser ton dévouement.
— Tu
peux te moquer de moi mais, sous peu, à condition que tous acceptent de faire
les sacrifices nécessaires, les rues de Byrsa grouilleront de la foule des
mercenaires venus des quatre coins de la grande mer à notre secours. En
attendant, il est d’ores et déjà possible de semer la discorde dans les rangs
de nos ennemis en incitant certains de leurs alliés à se rebeller contre eux.
Les Gaulois et les Ibères, lassés de payer tribut, sont prêts à prendre les
armes et Rome devra envoyer contre eux une partie des légions qu’elle a levées.
Enfin, et
cela vous surprendra peut-être de ma part, je crois que nous devrions envoyer
une ambassade auprès de Masinissa pour lui expliquer que la disparition de
Carthage signifierait, à plus ou moins long terme, celle de son royaume. Ce
maudit Marcus Porcius Caton l’a comblé de bienfaits pour le détacher de nous.
Mais s’il advenait par malheur que notre cité soit détruite, il cesserait dès
lors d’être utile aux Romains et ceux-ci s’empareraient de ses domaines. Nous
devons l’avertir de ce danger, lui et son fils Gulussa.
— Je
vois, fit Itherbaal, le chef du parti pro-numide, que tu choisis soigneusement
tes interlocuteurs. Tu oublies que le roi a deux autres fils, Micipsa et
Mastanabal, tout aussi influents que leur cadet. Crois-tu qu’il soit
particulièrement habile de les écarter des discussions ? Ou dois-je
conclure que tu comptes les éliminer au profit de Gulussa ? Ce serait une
faute grave. Cela dit, Himilcar, je partage ton avis. Face aux Fils de la
Louve, nous devons, Carthaginois et Numides, opposer un front commun. Nous
sommes
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