Haute-savane
recourir à la force.
— Faites donc cadeau de quelques esclaves à ces rapaces. Vous êtes assez riche pour le faire et la paix, croyez-moi, n’a pas de prix !
— Je le ferais volontiers si je pensais, en effet, acheter la paix à ce prix, mais je crains que l’on ne s’en contente déjà plus. C’est tout le domaine qu’ils veulent à présent.
— Alors que Dieu vous aide ! Si vous avez besoin de moi, vous savez où me trouver.
Quand la nuit tomba de nouveau sur les collines du Limbé, Gilles en éprouva une sorte de soulagement en pensant que, peut-être, il allait pouvoir passer à l’action, faire autre chose que tourner en rond à la recherche d’un moyen de défense efficace. Ce fut avec une joie sauvage qu’il prit ses armes et, flanqué seulement de Pongo et de Moïse, se dirigea vers la clairière où reposait Celina. Si son assassin osait la moindre tentative contre sa tombe, il allait le payer de sa vie. De toute façon, s’il parvenait à mettre la main dessus, Gilles était bien décidé à ne pas lui faire quartier.
Il était dix heures et demie environ quand Gilles, Pongo et Moïse atteignirent le tombeau des Ferronnet. La nuit, pour une fois, était sombre grâce aux lourds nuages qui s’étaient installés en fin de journée, chassés par la tempête qui, dans la journée, avait éclaté au nord de l’île, sur les îles Turks.
Aussi silencieux qu’un chat, Moïse escalada l’un des grands arbres qui bordaient la clairière tandis que Gilles ouvrait la grille, faisait passer Pongo et refermait. Personne ne disait mot et aucun bruit n’avait décelé leur passage.
Avec un grand luxe de précautions, les deux hommes s’installèrent pour une attente qui serait peut-être longue… qui serait peut-être vaine… Mais de leur poste d’observation, ils avaient une vue parfaite sur la tombe de Celina visible, même dans cette nuit obscure, grâce au monticule de pierres blanches qui la signalait.
Le temps coula, interminable. Dans son arbre, Moïse avait totalement disparu. L’atmosphère, à l’intérieur du petit temple, était lourde en dépit de la grille découpée sur la nuit et qui laissait passer un peu d’air. Habitué dès l’enfance aux longues stations de guet rigoureusement immobile, Pongo semblait changé en statue mais Gilles sentait le sommeil le gagner. Qui pouvait dire si les nécrophores viendraient cette nuit… ou même s’ils viendraient un jour ? Après tout, Désirée avait pu se tromper.
Il allait faire part de ses réflexions à Pongo quand celui-ci attira son attention :
— Sh !… sh !…
Du doigt, il montra trois silhouettes qui s’avançaient, venant du couvert des arbres, l’une enroulée d’un tissu clair qui la faisait ressembler à un fantôme, les deux autres étaient des Noirs qui devaient être à peu près nus pour mieux se fondre dans la nuit. Ceux-là portaient une pelle et une pioche plus des machettes.
Ils allèrent droit à la tombe de Celina. Puis, tandis que la forme blanche, debout, attendait, les deux hommes se mirent à enlever rapidement les pierres qui couvraient la tombe. Déjà, sous la main de Gilles, la grille s’était rouverte sans bruit et les deux hommes rampaient dans l’herbe, doucement, tout doucement…
Le silence total qui régnait sur la clairière dut rassurer les violeurs de tombe car, soudain, une lanterne sourde s’alluma et fut posée près de la tombe. Cette lumière apparue servit de signal. D’un même élan Gilles et Pongo tombèrent sur les deux hommes, deux Noirs aux muscles imposants, tandis que Moïse, dégringolant de son arbre, s’emparait de la silhouette blanche – qui était celle d’une femme – et qui fuyait déjà.
La surprise aidant, les deux Noirs furent facilement maîtrisés mais Moïse dut livrer un rude combat, en dépit de sa force, contre une créature qui se battait avec la souplesse et la force nerveuse d’une panthère. Laissant Pongo garder les deux hommes à demi assommés, Gilles courut lui prêter main-forte armé de la lanterne.
— Maintiens-la ferme ! cria-t-il. Je veux voir son visage !
La femme poussa un cri de douleur car Moïse était en train de lui tordre le bras à la limite du supportable et se calma un peu. Gilles leva sa lanterne et retint un cri de surprise : il avait en face de lui la belle mûlatresse qui l’avait accueilli dans son palanquin au jour de son arrivée.
En dépit de la fureur qui déformait ses traits, elle
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