Haute-savane
prisonnière ?
Le Maringouin se gratta la tête, un peu embarrassé tout de même.
— Faut pas prendre les choses ainsi, señor ! M. Legros n’a pas du tout l’intention de vous tuer. Il sait bien que ça lui coûterait trop cher. Et puis, ça n’arrangerait pas ses affaires. Ce qu’il veut, c’est conclure avec vous un bon arrangement, signer des papiers officiels…
— Et s’approprier mes terres, n’est-ce pas ?
— Ça, je n’en sais rien ! D’honneur ! Il ne m’a pas fait de confidences. Tout ce qu’il a dit c’est que si vous n’êtes pas là au lever du soleil, la fille mourra… après avoir été un peu violée, bien sûr, parce qu’elle est un peu belle !…
Derrière Gilles la voix de Judith s’éleva, chargée d’angoisse :
— Vous n’allez pas y aller, Gilles ? Chassez cet homme… ou plutôt faites-le parler : obligez-le à vous dire où se cache ce misérable Legros.
L’apparition de Judith parut plonger José Calvès dans la stupéfaction.
— Par la Madone ! C’est votre femme ?
— Oui. Pourquoi ?
Les yeux rivés à la fière silhouette de la jeune femme, l’homme haussa les épaules.
— Et c’est de l’autre que vous êtes amoureux ? Faut être fou…
— Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! Qui vous a dit que je…
— Que vous en teniez pour la belle blonde ? Une petite, pas mal du tout d’ailleurs, que notre Olympe a trouvée quelque part au bord de la rivière Salée et qu’elle a ramenée chez nous. Mais je me demande si elle a eu raison. C’est madame qu’on aurait dû enlever…
— Taisez-vous ! coupa Gilles, furieux. Faites-nous grâce de vos réflexions ! Je vais vous suivre dans un instant…
— Non ! Je vous en supplie ! s’écria Judith. Vous n’allez pas commettre une telle folie ? Je sais que vous l’aimez. Mais songez qu’il n’y a pas qu’elle, qu’un monde dépend de vous…
Il alla vers elle et, doucement, prit ses deux mains qu’il baisa rapidement.
— Il faut que j’y aille, ma chère. Mais je vous demande de croire que c’est pas simplement parce qu’il s’agit de Madalen. J’en ferais autant pour n’importe quelle femme innocente… peut-être même pour cette misérable Fanchon qui, après avoir tenté de vous tuer, nous a trahis. Nous ne pourrions pas payer de son sang notre prospérité et connaître encore la paix. Dites à Cupidon de me seller un cheval, n’importe lequel sauf Merlin !
Vaincue par l’émotion, elle se détourna, enferma brièvement son visage entre ses mains puis les en arracha et, relevant la tête dans un sursaut d’orgueil désespéré, elle ramassa ses jupes et partit en courant chercher le jeune palefrenier.
Lorsqu’elle eut disparu, Gilles appela, d’un signe, Charlot qui, inquiet et roulant de gros yeux où se lisait clairement la haine que lui inspirait le Maringouin, se tenait à l’entrée de la salle de compagnie, dans l’attitude figée d’un bon serviteur mais, visiblement, prêt à bondir sur l’ancien commandeur de Legros. Le majordome s’approcha tandis que le Maringouin, instinctivement, reculait de quelques pas sans le quitter des yeux. Sa main déjà cherchait un couteau à sa ceinture.
Son attitude arracha à Tournemine un sourire de mépris. Calmement, il tira de sa poche un pli cacheté qu’il tendit à Charlot.
— Remets cela au docteur Finnegan ! Ce sont mes ordres au cas, toujours possible, où je ne reviendrais pas vivant. Dis-lui que je compte sur lui pour exécuter à la lettre mes instructions… et puis dis-lui adieu pour moi. Tu le trouveras à l’hôpital en train de soigner Léon Bambou qui s’est pris une main dans l’égreneuse.
— Vous ’eveni’, maît’e ? Vous ’eveni’, n’est-ce pas ?
— Je l’espère bien, Charlot. Mais il faut toujours tout prévoir. Veille bien sur ta maîtresse.
— Je ju’e ! Et toi, sale mulat’e, ajouta-t-il en se tournant vers José Calvès, sans plus pouvoir retenir sa colère, tu peux di’e à ce bandit de Leg’os que s’il ose mont’er ici un jou’ sa vilaine figue, ou si le maît’e ne “evenait pas, nous sommes t’ois cents qui l’attend’ont, qu’on a des a’mes… et qu’on l’éco’che’a tout vivant ! Et toi avec !
— Bon, bon ! Ça va ! On lui dira ! Pas la peine de te mettre dans cet état.
Ému, Gilles serra la main de son majordome puis, comme Cupidon, les yeux gros de larmes, apparaissait devant le perron menant un
Weitere Kostenlose Bücher