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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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d’un sourire amer et suivit Gilles dans l’escalier qui menait aux cabines. Leur double entrée fit lever Judith qui se tenait assise sur le pied de l’étroite couchette où Fanchon reposait. Son ample robe tenait presque tout l’espace libre et, avec un sourire d’excuse, elle se retira, non sans avoir gratifié d’un coup d’œil surpris celui qu’on lui présentait comme un excellent médecin.
    Celui-ci, visiblement ébloui, ne put s’empêcher de suivre du regard le nuage bleu et parfumé de sa robe sans même songer à regarder sa patiente éventuelle et s’en excusa.
    — Mme de Tournemine est sans doute l’une des plus belles dames qu’il m’ait été donné de contempler, dit-il. En outre, il y a fort longtemps que je n’ai eu la joie de voir une femme rousse. En Irlande, beaucoup de nos femmes le sont…
    — Elle n’est pas irlandaise mais bretonne, comme presque tous ici. Nous sommes donc cousins germains.
    Le bras de Fanchon, parfaitement soigné par Malavoine, au dire de Finnegan, ne présentait aucun problème. La jeune femme avait d’ailleurs retrouvé une mine satisfaisante et le docteur se contenta de lui prescrire la consommation de fruits frais et de fromages de chèvre que l’on trouvait facilement dans l’île et qui aideraient à la recalcification de son bras.
    — Dans quelques jours, conclut-il, tout votre monde pourra vous rejoindre à « Haute-Savane » et y achever sa convalescence.
    — Vous connaissez le domaine ? demanda Gilles, surpris de d’aisance avec laquelle l’Irlandais avait mentionné le nom de cette terre encore inconnue pour lui-même.
    — J’y suis allé une fois ou deux du temps du vieux M. de Ferronnet. Il était tombé de cheval presque à mes pieds, un matin de vente d’esclaves, en arrivant un peu trop vite à la Criée. Je l’ai réparé de mon mieux et il m’avait un peu adopté… en tant que médecin tout au moins. J’avoue que je l’aimais assez : il avait le meilleur rhum de toute l’île.
    La voix traînante à l’accent irlandais parut à Gilles avoir traîné plus encore que d’habitude, comme si Liam Finnegan avait éprouvé le besoin d’en rajouter mais, de même que Moïse avait, par son héroïsme passionné, conquis son intérêt, cette boule de poils hirsutes aux mains de miracle qui semblait traîner derrière elle un univers d’amertume et de désenchantement, l’attirait plus qu’il ne l’aurait peut-être souhaité.
    — N’y a-t-il vraiment que le rhum qui, pour vous, présente quelque intérêt sur cette terre ?
    — Pourquoi pas ? Il apporte la chaleur, l’oubli, une douce euphorie…
    — Et d’affreux maux de tête quand on en abuse. Vous êtes un homme de valeur. Pourquoi vous détruire ainsi à plaisir ? Car vous n’ignorez pas, n’est-ce pas, que vous êtes en train de vous détruire ?
    Il vit la colère flamber dans les yeux verts du médecin et crut, un instant, qu’il allait se jeter sur lui. Bien qu’il fût un peu moins grand que lui, Finnegan, s’il eût été moins maigre, eût sans doute été d’une force redoutable et, instinctivement, il banda ses muscles, attendant le choc. Mais l’Irlandais se calma aussi vite qu’il s’était emporté.
    — Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre ? dit-il avec insolence. J’ai soigné votre nègre, j’ai examiné votre bonne femme, alors bonsoir ! Donnez-moi, au choix, un tonnelet de rhum ou deux ou trois pièces d’argent et nous serons quittes.
    — Pourquoi ne pas venir avec nous à « Haute-Savane » ? Il n’y a certainement pas de médecin là-haut et je suis prêt à payer très cher vos services.
    Pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontré, Gilles entendit rire Finnegan et vit briller, dans la broussaille de sa barbe, ses solides dents blanches.
    — Qu’y a-t-il de si drôle dans ma proposition ?
    — Que moi j’aille vivre là-haut, sur le même méridien que Simon Legros ? Non, mon cher monsieur. Je tiens trop à ma peau, si mal entretenue qu’elle soit.
    — Qu’aurait-elle à craindre de lui ?
    Finnegan ne répondit pas tout de suite. Pendant un moment qui parut à Gilles une éternité, il considéra son interlocuteur, le jaugeant visiblement à son poids exact de muscles, d’énergie et d’intelligence.
    — Vous ne le connaissez pas, n’est-ce pas ? Vous ne l’avez jamais vu ?
    — Comment l’aurais-je pu ? Il y a deux mois seulement, j’ignorais encore que

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