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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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heures, en train de lui répéter la même chose pour la centième fois :
    —    Vous ne pouvez pas. Nous essayons de le priver de toute émotion, pour qu'il se calme.
    Il eut soudain une idée :
    —    Madame, comment était votre mari hier? Allez-vous garder un bon souvenir de la journée d'hier, ou d'avant-hier ? Tous ces derniers jours ?
    Les yeux éplorés dirent « oui ». Le oui sonore d'une femme amoureuse.
    — Actuellement, il n'est pas beau à voir. Il écume, littéralement. Il a fallu l'attacher pour l'empêcher de se précipiter contre les murs. Nous faisons très attention pour prévenir les blessures. Ce genre de crise n'est pas si terrible quand on y est habitué. Les patients se fatiguent, leur excitation tombe. Je vous le promets, vous le verrez quand il sera plus calme. Si vous me dites encore désirer le voir tout de suite, je vais m'arranger pour vous le montrer sans que lui ne vous voie, pour ne pas le provoquer encore plus. Etes-vous certaine de vouloir le voir dans cet état, au risque de détruire, dans votre souvenir, l'image de ce qu'il était hier, avant-hier ?
    Elle le voyait hier encore, avec les enfants, jouant aux cartes et faisant exprès de perdre pour leur faire plaisir. Ou avant-hier, en train de lui faire l'amour. Elle se leva, sortit de la pièce, la tête basse, les épaules voûtées. Le médecin avait utilisé des paroles d'entrepreneur de pompes funèbres : «Madame, son visage a été tellement abîmé dans l'accident! Gardez le souvenir de son beau sourire. »
    Il sous-entendait : « Si vous le voyez comme cela, le beau souvenir de lui va s'effacer, et vous resterez avec une image affreuse.» Cela marchait habituellement, car personne ne veut oublier le visage de la personne aimée tel qu'il était au moment de l'amour.
    Madame Maurice Gagnon commença son veuvage à ce moment-là. Bien qu'il fût vivant, ficelé dans une camisole de force et beuglant des insanités, pour elle l'homme de lundi soir dernier, près de qui elle s'était endormie, n'était plus. Bientôt, elle se trouverait chanceuse d'avoir connu pendant près de dix ans le bonheur avec un individu merveilleux. Le patient de l'hôpital Saint-Michel-Archange connu sous le nom de Maurice Gagnon ressemblerait de moins en moins à l'homme de son souvenir, même physiquement. Il deviendrait une écorce vide. Dans peu de temps, des gens souligneraient dans son dos combien il était dommage que ce policier ne soit pas mort.
    Son existence empêchait une femme aussi jolie de refaire sa vie. Si jamais elle prenait un amant, un crime atroce pour toutes les autres femmes, pour elle on comprendrait: elle avait un mari fou, placé à Saint-Michel-Archange.
    Elle retrouva le chef Ryan, qui faisait les cent pas dans une salle d'attente. Elle l'avait toujours trouvé terriblement antipathique, sauf aujourd'hui. Quand elle avait reçu un appel du docteur Marceau, très fâché car, pour la deuxième fois, son mari ne s'était pas présenté à son rendez-vous, elle s'était précipitée au poste de police. Il lui avait expliqué, avec un tact qu'elle ne lui connaissait pas, la scène du matin. L'épouse avait été un peu surprise du coup asséné au chef de police; son mari était si prévenant avec elle. Cependant, cette enquête l'avait mis hors de lui.
    Le fonctionnaire l'avait emmenée à l'hôpital à la fin de l'après-midi, lui avait tenu compagnie toute la soirée. Pour détourner son attention, il lui avait demandé :
    —    Que savez-vous des enquêtes de Maurice ?
    —    ... Rien, en fait.
    —    C'était un bon policier, commenta Ryan pour l'amadouer. Un peu trop zélé, bien sûr, ce qui l'a épuisé. Il ne vous racontait pas ses bons coups ?
    —    Au début de notre mariage, oui. Mais cela me rendait terriblement nerveuse. Ces dernières années, il ne m'en parlait plus qu'en termes très généraux.
    Ryan arriva à cacher son soulagement, puis après une longue pause, il avait insisté :
    —    Par exemple, au sujet de sa dernière affaire, il ne vous a rien confié ?
    —    Non. Au début, il a cru que c'était les trois gars arrêtés. Leur libération lui paraissait si injuste. Puis il s'est intéressé à une autre piste.
    —Vous savez laquelle ? Ce serait important pour moi de le savoir.
    —    Vous n'avez pas son rapport?
    Le chef de police esquissa un sourire avant de convenir :
    —    Oui, bien sûr. Mais je me demandais si vous en saviez un peu plus.
    —

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