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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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personne ne tentera de les sauver tic la corde. En fait, dans ce cas une justice cruelle sera notre seule chance de salut. Utilise tous tes beaux talents d'orateur pour leur expliquer qu'ils n'ont aucun espoir d'un plaidoyer de folie, suivi de deux ans dans une chambre privée à l'asile de Beauport. Tu me comprends bien? Ce sera le bourreau, aucun aliéniste de la province ne témoignera en leur faveur, je m'en assurerai.
    Henri acquiesça. Si l'affaire éclatait au grand jour, pour cacher ses efforts afin de la couvrir, le procureur général devrait se présenter devant l'opinion publique comme le juge le plus sévère de ces gredins. Au prix d'une purge sanglante, il pourrait garder des sympathies considérables dans la population. Ces jeunes hommes jouaient quitte ou double : ils s'en tireraient impunément ou ils paieraient leur crime au prix fort.
    —    Pars tout de suite pour Château-Richer, enchaîna Descôteaux. Arrange-toi pour que cette maison ne ressemble plus à un repère de dégénérés.
    Le premier ministre se souvenait de la description des lieux rédigée par Gagnon. Il continua :
    —    Tu as lu le rapport de ce lieutenant. 'Pu sais donc exactement ce qu'un policier regarde. D'ici une semaine, fais en sorte que Sherlock Holmes puisse promener sa loupe dans tous les coins sans rien trouver. Tu devras inviter ta mère là-bas et la convaincre que tu y mènes la vie d'un saint homme.
    Henri se leva immédiatement, salua les deux hommes d'un signe de tête, et partit sans un mot. Quand il fut certain que son fils ne pouvait entendre, Antoine Trudel murmura, ému jusqu'aux larmes :
    —    Merci pour ce que tu fais là, Philippe-Auguste. Tu lui sauves la vie. Tu sauves toute la famille.
    —    Je ne le fais pas pour lui, ni pour toi, je le fais pour nous tous. Si cela devenait public, tu ne pourrais même pas marier ta fille à un ouvrier de la chaussure borgne et boiteux. Les commerces concurrents de ceux d'Armand Bégin publieraient dans les journaux des publicités du genre : «Achetez ici, il n'y a pas de tueurs de vierges dans notre famille.» Moi, je ne pourrais même pas me faire élire commissaire d'école à Beauceville, si mon rôle dans cette histoire était connu.
    Antoine Trudel comprenait cela. Le monde changeait en profondeur, toutes les choses tenues pour acquises dans le passé s'effritaient, le respect dû aux élites, aux grandes familles en premier.
    —    Antoine, insista le premier ministre, nous venons de mettre le doigt dans un engrenage dangereux. En les protégeant, on se fait complices. Chaque fois qu'il y aura un élément nouveau, il faudra intervenir encore pour dissimuler un peu plus.
    —    Quel genre de fait nouveau ? Ce policier ne peut plus nous nuire.
    —    Si un infirmier entend son délire et en tire des conclusions ? Si quelqu'un a vu l'un de ces fous avec Blanche Girard ? Surtout, si l'un de ces garçons parle, sous le coup du remords ou pour se vanter ? Le procureur général de la province vient de dire à un complice de meurtre d'aller effacer toutes les preuves! Nous allons vivre tous les jours dans la peur de la catastrophe.
    Depuis trois semaines, Antoine Trudel vivait avec cette angoisse profonde. Il espérait s'y habituer. Descôteaux s'était souvent demandé comment les politiciens avaient fait, pendant la guerre, pour prendre des décisions à l'origine de la mort de centaines de milliers de gens. Lui n'avait qu'une seule petite morte sur les bras, et il se sentait affreusement coupable. Le ministre de la Guerre qui ordonnait de lancer une attaque inutile au coût de cent mille vies, juste pour donner l'impression de faire quelque chose, n'y pensait plus une heure plus tard. Cent mille décès inutiles aux Dardanelles devaient peser moins lourd sur la conscience que la vie d'une seule Blanche Girard.
    —    Mais je veux le voir, suppliait encore une fois madame Maurice Gagnon. C'est mon mari.
    Elle n'avait plus de larmes dans le corps, après tous ces pleurs. Cela la rendait encore plus pathétique. Depuis quatre heures, elle répétait cette prière. L'expression «cure d'isolation» ne signifiait rien pour elle. Le personnel avait eu envie de la faire expulser de force et même de l'interner, tellement elle semblait hystérique à certains moments. Une religieuse excédée s'était décidée à appeler le docteur Dubuc chez lui vers neuf heures, pour lui expliquer la situation. L'aliéniste était là, à dix

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