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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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devoir courir pour avertir le gardien du parc, les policiers. Il resta là, figé. Malgré sa curiosité, il hésitait. C'était péché, mais cela ne ferait pas de mal à une morte. Il regarda autour de lui, personne ne venait. Puis il s'agenouilla vivement, pencha la tête près du sol, pour voir entre les cuisses. Comment ne pas profiter de l'aubaine pour enrichir ses connaissances, car il pouvait se passer dix ans avant qu'il n'ait l'occasion de regarder «là» une nouvelle fois? Il vit d'abord les cuisses blafardes faisant comme un «V », au fond des poils bruns. Là, ses camarades lui en avaient déjà parlé, il y avait un trou. Il essayait de le voir, mais tout se perdait dans une grande tache noire. Du sang coagulé, comme sur une grande plaie déjà ancienne et de petits points blancs.
    Gérard commença par hurler, puis vomit. Cela ne troubla nullement les vers concentrés sur leur festin.
    Le cri fit sursauter Alcide Gauthier, le gardien du parc.
    —    Ces satanés gamins jouent encore à se lancer dans la vase chacun leur tour, grommela-t-il.
    Non, se corrigea-t-il aussitôt. Un cri comme celui-là, c'était du sérieux. Il se précipita - enfin, il se dirigea aussi vite-que le lui permettaient ses soixante-dix ans et sa jambe folle
    - vers le bosquet d'où Gérard Fecteau venait d'émerger, pâle comme un cadavre.
    —    Il y a une morte là-bas ! Une morte ! hurlait l'enfant.
    Au ton de celui-ci, il ne s'agissait pas d'un mauvais tour, comme les enfants lui en jouaient parfois.
    —    Va au kiosque demander qu'on appelle la police, fit-il tout en marchant.
    Le parc Victoria était le seul espace vert digne de ce nom dans la Basse-Ville. Le soir et les dimanches, des centaines d'ouvriers, d'employés des deux sexes, venaient s'y promener. Certains amenaient avec eux de quoi pique-niquer sur l'herbe. Les autres pouvaient toujours s'acheter un Coca-Cola ou une glace au petit restaurant situé dans le kiosque. Pour ajouter à l'attrait de l'endroit, des orchestres venaient jouer des airs légers. Une scène couverte, surélevée, avait été construite à cette fin, sous les arbres.
    Comme Gérard Fecteau avait hurlé la nouvelle, bien des badauds avaient emboîté le pas à Gauthier. Ce fat tout juste s'il put entrer le premier dans les buissons. Il se dirigea vers la rivière, certain de ne pas manquer le corps: ce bouquet d'arbres n'était pas assez grand pour passer sans le voir. De toute façon, en approchant des buissons, il perçut l'odeur de pourriture. Si le vent l'avait poussée dans l'autre direction, vers le parc, elle aurait attiré l'attention depuis un bon moment. Il n'avait qu'à suivre cette puanteur.
    Il se trouva rapidement près du corps, des curieux sur les talons. Blanche Girard! Il la connaissait bien: depuis des années elle traversait une partie du parc, au moment de rentrer chez elle.
    Une bouffée de tristesse fit monter des larmes aux yeux du vieil homme. Une jeunesse comme ça, mourir de la sorte ! Au moins si cela avait été un accident : en entendant Fecteau, il avait pensé à une noyée. Tous les ans un cadavre échouait au creux de l'un des méandres de la Saint-Charles. Celle-là avait été violée et tuée. Une tache brune, du sang coagulé, marquait le drap qui la couvrait à la hauteur du sexe. Il se pencha prestement pour baisser la toile sur les cuisses et les genoux de la jeune fille, ce qui eut pour effet de déplacer cette tache à un endroit moins intime de son anatomie. Il se déplaça ensuite vers le haut du corps, tirant encore le drap pour cacher le visage. En même temps, il faisait en sorte que le tissu n'épouse pas aussi bien la courbe des seins.
    Car les curieux accouraient, et le vieil homme rageait de voir des regards égrillards sur la jeune fille.
    — Tassez-vous, tassez-vous, disait-il, essayant de faire une barrière avec ses bras.
    Mais les hommes se pressaient pour profiter du spectacle. Quelle aubaine, se repaître de chair, même plus très fraîche à en juger par l'odeur. Ou peut-être n'était-ce que la fascination face à la mort, surtout celle d'une personne jeune, qui ne devait rien à la maladie ou à un accident. Certains semblaient compatir. D'autres allaient vomir dans les framboisiers. La pestilence devenait intenable après quelques secondes.
    En faisant le tour du corps, pour empêcher que quelqu'un ne cherche à soulever le drap - beaucoup d'entre eux l'auraient fait s'ils avaient été seuls, il n'en doutait pas

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