Haute-Ville, Basse-Ville
Lieutenant, il y avait ceci près du corps.
Il lui tendit le carnet. Celui-ci était tout à fait sec et propre, mais depuis une semaine pas une goutte de pluie n'était tombée.
— L'un de ces maudits curieux a pu le perdre, expliqua-t-il encore.
Gagnon l'ouvrit pour voir le nom.
— Jésus-Christ! laissa-t-il tomber. Vous avez vu à qui il appartient?
— Non, je n'ai pas regardé, mentit Gauthier.
Lui aussi était tout de même un peu curieux. Toutefois, mieux valait feindre l'ignorance.
— Vous dites qu'il était près du corps ?
— Oui, tout près. Sous un bout du drap posé sur elle, en fait. Mais comme je l'ai déplacé pour mieux cacher Blanche, je peux l'avoir couvert par inadvertance.
Foutu hasard ! S'il était arrivé le premier, Gagnon aurait su si le carnet avait été perdu par le meurtrier. Cela aurait été le cas, par exemple, s'il s'était trouvé sous le drap ou juste à côté du corps, puisque personne d'autre n'aurait pu le perdre après coup sans avoir découvert le cadavre. Le papier demeurait en trop bon état pour avoir été là depuis bien longtemps. Il pouvait aussi bien être tombé de la poche de quelqu'un quinze minutes plus tôt.
— Vous restez dans le parc toute la journée ?
— De neuf heures à neuf heures, pendant la belle saison. Je vais manger à la maison, cependant.
— Quand avez-vous vu Blanche pour la dernière fois ?
— Samedi dernier.
Donc, le jour où son patron lui avait parlé pour la dernière fois, elle empruntait le chemin habituel pour rentrer à la maison.
— Elle était seule ?
— Oui.
— Personne ne la suivait, même de loin ?
— Vous savez, fit Gauthier après un moment de réflexion, il y avait beaucoup de monde. Quelqu'un a pu avoir l'œil sur elle sans que cela ne se remarque.
Déjà, le détective doutait qu'elle ait été tuée ce jour-là. Le cadavre se serait trouvé dans un bien plus piètre état, après une aussi longue durée.
— Vous n'avez vu personne rôder autour du boisé ? Ou bien une barque transportant quelque chose de volumineux, qui aurait pu être le cadavre ?
— Bien des personnes viennent ici, des enfants pour se baigner, des amoureux pour se bécoter. Parfois, je les vois arriver, d'autres fois non. Je n'ai eu connaissance de rien de spécial ces derniers jours. On ne m'a rien signalé non plus.
La jeune femme pouvait avoir été amenée dans le bosquet la nuit quand les environs étaient déserts, comme elle pouvait y avoir été conduite en plein jour, devant tout le monde, ne sachant pas ce qui l'attendait. Gagnon prit le chemin du restaurant en compagnie du vieux gardien. Ce dernier alla s'enfermer dans les toilettes pour laver plusieurs fois sa main droite. L'officier de police, lui, devait interroger son témoin de dix ans. Fecteau était assis au comptoir, essayant d'aspirer avec sa paille les dernières gouttes de Coca-Cola qui restaient au fond de la bouteille. Le bruit de succion énervait tout le monde. Gagnon lui en commanda un autre.
L'enfant commença par en avaler un bon tiers avant de déclarer:
— Je dois rentrer à la maison, sinon ma mère...
— Viens, je vais te conduire, dit Gagnon, heureux d'échapper à quelques curieux collés à lui pour tout entendre.
Quelle soirée ! Une morte, deux Coca-Cola aux frais de la police, une balade en voiture ! Le gamin en aurait pour tout un mois à être le centre d'attraction de ses copains. Gagnon attendit d'être avec lui dans l'auto avant de demander:
— Tu te retrouves souvent dans ces buissons ?
— Bien oui, avec les autres, je vais me baigner. Là, personne ne nous voit. Enfin, je veux dire les grands.
— Tu t'y rends avec tes amis ?
L'enfant fit signe que oui.
— Tu y es allé dans la journée, aujourd'hui ? demanda le policier. Ou hier?
— Non, pas aujourd'hui. Avec les gars je suis allé à la pêche, près du fleuve. Hier, on est restés à la salle paroissiale. Le curé avait organisé des compétitions sportives. C'était plate.
— Alors, quand es-tu allé jouer là pour la dernière fois ?
— Avant-hier, dans l'après-midi. J'y suis aussi retourné une autre fois seul, à la même heure que ce soir.
Donc, il n'y avait pas de corps dans le parc le 6 juillet, en début de soirée, et Blanche était disparue depuis le 3. Il avait hâte de savoir depuis quand elle était
Weitere Kostenlose Bücher