Haute-Ville, Basse-Ville
-, Gauthier vit un carnet dépasser sous un pli de celui-ci. Il le ramassa et, indentifiant un livret de banque où sont notés les dépôts et les retraits d'un compte, il le mit dans sa poche. Ce pouvait être un indice laissé par le tueur. Trente ans dans la police lui avaient au moins appris cela.
Après quelques minutes, pendant lesquelles la foule ne cessait de grossir, deux agents arrivèrent sur les lieux. Fecteau les avait vus passer dans la rue et ils les avaient hélés. Ils purent convaincre les badauds de reculer de quelques pieds, poussant du bout de leur matraque les plus têtus. Mais le mal était fait: ils avaient piétiné tout l'espace de l'orée du bosquet jusqu'à la rivière. Il ne serait plus possible de savoir où le tueur était passé, ou d'apprendre, par exemple, grâce à ses traces de pas, la pointure de ses chaussures. Aucune chance non plus de trouver des indices, comme un mégot de cigarette, un bout d'allumette, quelques fibres arrachées à un vêtement. Cinquante personnes au moins étaient entrées dans le bosquet, il ne restait plus rien.
À son arrivée sur les lieux, le lieutenant Gagnon évalua le gâchis. Il n'eut même pas à prendre garde aux épines des framboisiers, ceux-ci étaient aplatis au sol. Son air taciturne, comme la déférence qu'affichaient envers lui les agents en uniforme, incitèrent les badauds à s'éloigner un peu.
— C'est un petit gars qui l'a trouvée, expliqua Gauthier en s'approchant du lieutenant.
— Oui, je sais. Il est venu au-devant de moi. Je lui ai paye un Coca-Cola et je lui ai dit de m'attendre au restaurant. Je lui parlerai tout à l'heure.
— Il s'agit de Blanche Girard. Elle traversait le parc tous les jours. Je lui ai caché le visage.
Gagnon n'avait pas douté une seconde de l'identité de la victime, dès qu'on lui avait dit au téléphone avoir trouvé le cadavre d'une femme. Il alla tout de même soulever un coin du drap pour voir son visage, lançant en se relevant un regard courroucé aux curieux s'étant approchés pour voir aussi.
Il fallait attendre les employés de la morgue. Un collègue du poste devait les appeler. En fait, les employés de Lépine, un directeur de pompes funèbres, viendraient chercher le corps pour le placer dans une chambre froide au sous-sol de l'entreprise. On poserait simplement quelques gros blocs de glace dans une pièce minuscule, particulièrement bien isolée, pour empêcher les ravages de la décomposition de se poursuivre. Cela pouvait convenir pendant quelques jours, mais mieux valait ne pas ajourner l'enterrement trop longtemps.
Cinq minutes plus tard, il entendit un petit camion reculer dans le bosquet. Il servait tout aussi bien à transporter les malades ou les blessés vers l'hôpital que les cadavres chez le croque-mort, si les médecins ne s'étaient pas montrés à la hauteur. Deux hommes en descendirent, ouvrirent toutes grandes les portes à l'arrière du véhicule pour prendre une longue planche de contreplaqué munie de poignées et se diriger vers le cadavre. Les badauds formaient deux haies parallèles devant eux.
Ils posèrent la planche tout près du corps, interrogèrent du regard l'officier qui fit un signe d'assentiment. L'un par les pieds, l'autre par les épaules - tous deux portaient des gants et plissaient le nez -, ils soulevèrent le corps. Gauthier s'accroupit pour passer sa main sous les reins en prenant bien soin de mettre un pan du drap entre sa paume et la peau. Il put ainsi les aider à glisser le cadavre sur le brancard. Les deux hommes prirent le temps de poser un autre drap sur lui avant de le transporter vers le véhicule. Les curieux les suivirent, formant comme un cortège funèbre précoce. Il n'y avait plus rien à voir, ils partaient.
Gagnon s'assit sur ses talons près de l'endroit où avait été le corps. Au gré de la décomposition, des liquides s'en étaient échappés, laissant la terre moite. Le fait de l'avoir déplacé avait soulevé une véritable puanteur. Il ne restait rien, pas un indice, là où elle avait été, seulement de la terre, des brindilles et des herbes écrasées, et des vers. Gauthier avait arraché quelques feuilles aux arbres pour s'essuyer la main. Comme cela ne lui paraissait pas suffisant, il marcha jusqu'à la rivière pour se laver. Pourtant, il aurait pendant une bonne semaine l'impression de garder l'odeur du cadavre sur lui. Revenant en s'essuyant la paume sur son uniforme, il dit :
—
Weitere Kostenlose Bücher