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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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commercialisation, Renaud avait acheté un cadeau de Noël, un seul. Un joli livre pour Lara. Il alla directement de chez THIVIERGE au Chat. La place était un peu lugubre. A ce moment de l'année, on n'y trouvait que les laissés-pour-compte. Tous les époux et les fiancés éprouvaient une soudaine attaque de fidélité à l'approche des fêtes. Il n'eut pas à attendre longtemps pour la voir. Le visiteur ne fut pas le premier à lui « offrir un petit quelque chose pour Noël », il fut cependant le seul à avoir mis du temps à choisir un présent vraiment pour elle. Cela l'émut un peu. Ils passèrent une bonne heure en tête-à-tête, à parler. Elle suivait le cours de ses histoires amoureuses et le trouvait un peu ridicule. Quant à lui, il se demanda si les prostituées avaient un congé pendant les fêtes. Un très bref instant il songea à lui demander de l'accompagner à New York.
    Son dimanche se révéla misérable. Aucun de ses livres ne l'intéressait, ses vieilles photographies lui rappelaient trop de mauvais souvenirs. Même la radio se mettait de la partie: le plus souvent la réception était mauvaise. Quand elle était bonne, il entendait des airs de Noël d'une navrante gaieté. Dès le lundi matin, il réserva une place dans le train de New York. Il partirait en fin d'après-midi vers Montréal, et de là il rejoindrait les États-Unis. Comme le voyage se ferait de nuit, il retint une couchette. Cela le mit presque de bonne humeur : partir lui changerait les idées.
    Il n'avait pas tout juste raccroché après son coup de fil au Canadien Pacifique, que le téléphone sonna. Il regarda le combiné pendant un moment. Helen, songea-t-il, ou même Élise ? Il devenait idiot. La seule femme à Québec avec qui il n'était pas brouillé, c'était Lara, mais elle ne faisait pas de réclame au téléphone pour ses services. Il décrocha après une demi-douzaine de sonneries.
    —    Monsieur Renaud Daigle ?
    La voix d'homme lui parut familière. Il acquiesça. A l'autre bout du fil, il entendit :
    —    Jean-Jacques Marceau. Est-ce que je peux vous rencontrer ?
    Renaud eut une longue hésitation. Il ne tenait pas à voir l'un de ses étudiants en privé. Puis l'air morose de celui -la depuis septembre laissait présager une rencontre désagréable. Marceau devina ses hésitations, car il ajouta :
    —    C'est pour une consultation professionnelle, en quelque sorte.
    —    Je doute que vous ayez une querelle avec Sa Majesté lirai, ou ses représentants au Canada. Vous voulez vraiment parler à un constitutionnaliste ?
    Renaud ne se considérait pas comme si incompétent dans les domaines civil ou criminel. Ses réserves tenaient à d'autres raisons: il reniflait la sombre histoire de mœurs et n'avait aucune envie de s'y trouver impliqué.
    —    Je ne vois personne d'autre à qui m'adresser, plaida Marceau. Avec vous, une partie de la confession a déjà eu lieu: cela m'éviterait de recommencer avec un autre avocat.
    Renaud avait bien deviné. S'était-il fait prendre en flagrant délit? Il eut un moment envie de le référer à Thomas Lavigerie. Ce dernier aurait sans doute aimé secouer la pudibonderie de ses concitoyens. Finalement, il se laissa fléchir:
    —    Je ne peux vous recevoir ailleurs que chez moi. Et je pars en fin d'après-midi.
    —    Je peux être là tout de suite. Juste le temps de me rendre chez vous.
    Il lui donna son adresse, puis commença à faire sa valise en regrettant d'avoir cédé. Déjà, il avait craint que le dépit d'Elise ne lui fasse perdre son contrat sur l'affaire du Labrador. S'il se retrouvait impliqué, même à titre d'avocat, dans une histoire de flagrant délit de grivoiserie entre deux messieurs, plus personne ne le trouverait respectable. Pas même ses camarades du mess des officiers du Manège militaire, revus une douzaine de fois ces derniers mois. Avec un visage peu amène, il ouvrit à Marceau une heure plus tard.
    Le jeune homme n'avait pas une mine plus réjouie. Il se retrouva dans l'un des fauteuils du salon. Renaud, derrière son bureau, ne lui facilitait pas la tâche en lui présentant un air fermé, au bord de l'impatience.
    —    Vous préféreriez me voir ailleurs, je le sais. Vous n'avez sans doute pas l'intention de commencer une carrière de plaideur, surtout pas avec un client comme moi. D'un autre côté, je ne connais personne à qui m'adresser. Plus précisément, personne n'est au courant de mes...

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