Haute-Ville, Basse-Ville
disons de mes préférences personnelles, sans en faire un sujet de moqueries, sinon de remontrances.
Renaud savait être un trop bon garçon. Cela le mettait dans des situations délicates. Peut-être ferait-il mieux de condamner d'emblée tous les pécheurs de la Terre, quitte à commettre certaines de leurs fautes en se dissimulant. Il trouvait curieux que, malgré sa totale indifférence religieuse, il semblât être le seul dans la très catholique ville de Québec à appliquer intégralement l'histoire de la première pierre.
— Je veux bien vous écouter, pour vous référer éventuellement à un avocat spécialiste du droit criminel.
— Oh ! Cela ne concerne en rien le droit criminel. Je ne suis pas devenu totalement vertueux, tout d'un coup. Mais le climat rend les parcs moins fréquentables.
Il eut un sourire, ce dont il n'avait pas l'habitude.
— En fait, je pensais surtout à une poursuite en dommages et intérêts.
Quel lien pouvait-il y avoir entre l'homosexualité et les réclamations d'argent devant les tribunaux ? Cela ne pouvait être lié à une grossesse indésirable, tout de même.
— Je ne vous suis vraiment pas, dit-il.
— Le Code criminel punit les personnes ayant des contacts sexuels avec des enfants ou des adolescents, n'est-ce pas ?
— ... Oui, bien sûr, répondit Renaud qui craignait de commencer à comprendre.
— Les victimes de ces agressions peuvent demander à être dédommagées.
«Sûrement», pensa Renaud. La situation devenait plus scabreuse encore.
— J'essaie de trouver un sens à ce que vous me dites, confia Renaud. Je présume que vous avez été victime d'abus sexuel quand vous étiez enfant.
— C'est exactement cela.
— Le coupable a-t-il été accusé devant les tribunaux, et condamné ?
— Non. Vous êtes la première personne avec qui j'aborde la question. Les coupables, car il y en a plus d'un, n'ont jamais été dénoncés.
— Vous voulez les accuser maintenant et obtenir une condamnation ?
La démarche lui paraissait absurde. Ce serait se couvrir de honte, pour une bien petite consolation.
— Une peine de prison ne me donnerait rien. Je veux un dédommagement et des excuses.
Plus il parlait, moins Renaud comprenait. Marceau présentait un visage exsangue, il évitait de lever les yeux. Cependant sa voix était ferme, assurée.
— Vous connaissez nos collèges et nos séminaires. On y trouve des personnes dévouées, généreuses, aimant s'occuper de l'éducation de jeunes garçons. Parfois, de bons pères ou de-bons prêtres s'intéressent de très près à leurs élèves, pour un autre motif que leur enseigner le latin. J'ai été le jouet, c'est le meilleur mot, d'un bon père jésuite. Il m'a partagé avec un collègue. .
Après cette tirade, le visiteur marqua une pause. Son interlocuteur resta un long moment sans rien dire. Ce silence lut suffisamment long pour que le jeune homme ajoute :
— Vous croyez que j'invente ?
— Non. Je me souviens de mes années au Petit Séminaire, des soupçons éprouvés à l'égard de certains prêtres. Si nous avions raison une fois sur deux, il y a eu des victimes là aussi. Vous souhaitez une poursuite au criminel ? Voici mon conseil d'avocat, donné gratuitement: essayez d'enfermer cela dans un coin de votre esprit et faites pour le mieux avec le reste de votre vie. Aucun policier ne voudra enquêter là-dessus.
— Je ne pensais pas à une poursuite au criminel, seulement à un dédommagement.
— Faire payer les Jésuites pour ce qu'ils vous ont fait? À combien évaluez-vous le préjudice subi ?
— Ma première évaluation, très conservatrice, serait d'un million de dollars.
Marceau accompagna ces mots d'un grand rire.
— Je me contenterais d'un dollar, et d'une lettre d'excuse. Rien de plus.
— Je veux bien l'admettre, c'est une demande raisonnable. Vous essuierez un refus. Le tort fait à l'Eglise serait trop grand. Elle ne peut risquer de laisser traîner un papier comme celui-là.
— Des excuses exprimées verbalement, alors.
Marceau tenait à son idée. Il en faisait une question de principe. Renaud comprenait jusqu'à un certain point. Pourtant, c'était compromettre tout un avenir pour un profit bien limité.
— Pour des excuses verbales, vous n'avez besoin de personne. Vous allez voir vos agresseurs et vous les demandez. Au pire,
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