Haute-Ville, Basse-Ville
ministres, de députés et d'hommes d'affaires, membres éminents du Parti libéral. Ils n'avaient pas dû passer inaperçus, toutefois chacun pouvait servir d'alirbi aux autres. Saut dans le cas où quelqu'un les avait vus en présence de Blanche Girard, ou si l'un d'eux conservait dans son placard les bas et les souliers de la jeune femme, on ne pourrait jamais rien contre eux. «Tiens, se dit Gagnon, je me demande s'il serait possible d'obtenir un mandat pour fouiller leurs domiciles. » Il insista encore :
— Et qu'avez-vous fait pendant les journées du 6, du 7 et du 8 ?
— Du mardi au jeudi? Un tas de choses, j'en ai bien peur. J'ai un peu révisé mon anglais car je vais aller étudier aux Etats-Unis en septembre. Je me suis occupé d'affaires financières et de politique. Ma mère et les domestiques peuvent témoigner des heures où j'étais ici. Pour le reste du temps il y a les partenaires commerciaux, les amis, les connaissances. Mais il serait difficile de trouver des témoins de mes activités pour chaque minute de ces trois jours.
— Et les soirées ? Les nuits ?
— A ce sujet, je peux aider, déclara le ministre. Ces trois soirs, Henri a travaillé avec moi et des collègues aux affaires du Parti libéral. Parfois, cela se déroulait ici, d'autres fois à la résidence du premier ministre. La nuit, il était dans son lit, évidemment. Les soirées de désordre, les sorties, c'est réservé aux fins de semaine, alors que sa mère et moi sommes à la campagne.
Antoine Trudel s'était levé :
— Vous nous excuserez, mais nous devons justement nous rendre chez le premier ministre. De toute façon, vous avez sûrement épuisé toutes vos questions.
Le chef de police s'était levé aussi, visiblement soulagé que ce soit enfin terminé. S'il devait y avoir des représailles, Gagnon avait mis assez de précipitation à poser ses questions pour toutes les attirer sur lui. Ryan se rassurait en se disant qu'on ne lui tiendrait pas rigueur de cette visite.
Henri Trudel quitta aussi son siège. Gagnon ne pouvait rester assis et poser encore des questions sans paraître bien malpoli. Il imita donc les autres, mais demanda tout de même :
— Le carnet bancaire...
Antoine Trudel l'interrompit au milieu de sa phrase :
— Chef Ryan, nous vous remercions de nous avoir rendu le livret. Comme vous connaissez maintenant les activités de mon fils, en retrouvant le voyou qui l'a volé vous mettrez sans doute la main sur le meurtrier. Mais laisser ce document dans les dossiers de la police pourrait menacer la paix sociale. Imaginez qu'un individu mal intentionné le voie et se mette à répandre des rumeurs ! Evidemment, si un jour vous vous sentez autorisé à porter des accusations contre mon fils, un ordre de la cour vous permettra de le récupérer.
— Bien sûr... vous avez raison. Nous sommes désolés de vous avoir dérangé.
Le chef de police avait atteint la porte. Le lieutenant devait lui emboîter le pas. Derrière eux, Antoine Trudel les raccompagnait en disant d'un ton trahissant sa colère :
— Mais non, ne vous excusez pas, Ryan. Vous faites votre devoir.
Il referma la porte sur eux sans un mot de plus.
Sur le trottoir, près de la voiture du chef Ryan, les deux enquêteurs demeurèrent immobiles un moment. Gagnon ne put s'empêcher de dire :
— Il aurait fallu reprendre le carnet. C'est une pièce à conviction.
— Pour convaincre qui ? Ce garçon n'a rien à voir là-dedans. Pourquoi lui as-tu demandé ce qu'il avait fait pendant ces soixante-douze heures ? Personne ne peut avoir un alibi solide pendant trois jours de suite, à moins d'être en prison.
Gagnon lui expliqua que selon le médecin légiste, la mort ne pouvait remonter à plus de trois jours. Le chef de police vit tout de suite ce que cela signifiait:
— Son alibi n'est pas très fort pour samedi, mais tu le vois enlever une fille en sortant du bordel? Comme nous ne connaissons pas la date, encore moins l'heure de la mort, sur quelle base pourrions-nous l'accuser? Ce n'est évidemment pas lui qui a fait ça !
— Mais le carnet...
— Goddamn! Gagnon, tu es vraiment devenu lunatique? Il se l'est fait voler. Tu lui fous la paix et tu cherches un vrai coupable, quelqu'un avec un motif, ou un maniaque. Questionne les gens. Quelqu'un a vu quelque chose, sûrement.
Ryan était monté dans sa voiture. Il claqua la portière, démarra
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