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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fils avait parcouru les journaux du matin avant elle, il était inutile de préciser davantage.
    —    Oui, en effet.
    Lui aussi avait des larmes aux yeux. « Oh ! Comme il est sensible ! » se dit-elle. Ils se trouvaient tous les deux dans une cuisine inondée de soleil, un bol de céréales vide devant eux, une deuxième ou une troisième tasse de café à portée de la main. Ils n'avaient pas les moyens d'avoir une bonne. Cela valait mieux ainsi, aucune étrangère ne s'immisçait entre eux, personne ne troublait cette délicieuse intimité. Elle ne reprit pas sa lecture, garda les yeux sur lui. Depuis un moment, il faisait semblant de s'absorber dans une revue littéraire absconse. Elle voyait pourtant bien qu'il ne lisait plus, ses pupilles n'avaient pas ce mouvement, presque imperceptible, pour suivre une ligne. Elle le connaissait si bien, rien ne lui échappait.
    Depuis des jours, elle s'inquiétait terriblement de le voir si morose. Bien sûr, il n'affichait jamais une bien grande gaieté. Cette langueur, cette moue un peu dédaigneuse sur ses lèvres bien ourlées, cette façon bien méfiante de tenir la tête un peu penchée vers l'avant, de façon à regarder le monde à travers la lourde mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux, faisaient partie du personnage longuement élaboré pendant l'adolescence. Cependant, depuis une bonne semaine, il affichait les yeux enflés et rougis de quelqu'un qui pleure à chacun de ses moments de solitude. Surtout, elle entendait son pas léger dans la maison la nuit, chaque fois que le sommeil la désertait.
    Madame veuve Marceau s'était préoccupée toute sa vie de ses pauvres ressources financières. Ce souci devait hanter aussi son fils, au point de le torturer.
    —    Nous ne mènerons pas cette vie encore bien longtemps. Dans un an, tu auras ton diplôme et un bon emploi. Tu pourras partir aussi.
    Les journaux ne tarissaient pas sur les belles excursions offertes aux étudiants, à Saint Andrew ou au lac Louise, par exemple. D'autres n'allaient pas si loin. Ils se retrouvaient à la maison de campagne de leurs parents. Ne venait-elle pas de lire dans les «Notes sociales» qu'un bon ami de Jean-Jacques, Henri Trudel, s'apprêtait à rejoindre sa mère à La Malbaie? Comme il fallait être prétentieux, pour faire en sorte que les journaux évoquent ainsi ses déplacements !
    Quand son fils leva sur elle un regard interrogateur, elle ajouta :
    —    Toutes ces publicités de voyage te font envie. Heureusement, bientôt tu recevras un salaire de professionnel. Nous ne compterons plus chaque cent.
    —    Les bons emplois ne sont pas si nombreux, alors que les jeunes avocats se multiplient.
    —    Ne parle pas comme cela. Avec tous tes amis importants, tu trouveras sûrement une niche dans un ministère.
    Elle ne le voyait pas s'escrimer dans une cour de justice, mais rêvait pour lui de quelque chose au Secrétariat provin cial, une occupation liée aux arts. Que faire pour dissiper un peu la morosité de Jean-Jacques ? Elle en venait ;i s'inquiéter.
    —    Tu n'es pas allé à la chorale, cette semaine ?
    —    Non. Je ne crois d'ailleurs pas y retourner. Finalement, ce n'est pas si amusant de faire chanter une trentaine d'ouvriers.
    —    Tu ne t'es pas disputé avec ton bon ami Pierre, j'espère ? dit-elle avec une nouvelle crainte dans la voix. Il est si gentil.
    —    Bien sûr que non. Personne ne peut se disputer avec notre petit vicaire. Toutes les femmes de la chorale croient que c'est un ange.
    C'était son tour maintenant de la regarder à la dérobée au moment où elle posait Le Soleil sur la table pour parcourir des yeux une publicité du magasin PAQUET couvrant toute une page. « Se peut-il qu'elle ne sache pas ? » se demanda-t-il pour la millième fois. «Elle ne peut pas ne pas savoir. Elle a sans doute su avant moi, se répondit-il, même si elle ne peut pas se l'avouer. » La situation ne la révoltait pas. Pour la première fois, il comprit que cela devait être tout le contraire : personne ne le lui enlèverait, son «grand garçon». Il serait là jusqu'à son dernier souffle, le meilleur fils du monde.
    De toute façon, son manque d'imagination devait lui donner une perception bien mièvre des «amitiés particulières ». Une seule chose importait vraiment pour elle : le silence, la discrétion. Pas seulement pour que personne ne le sache en dehors de ces murs, mais de façon à ce qu'elle-même

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