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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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étaient brutaux avec elles ?
    —    Oui, ça aussi. Mais surtout, ils... Vous savez, ce sont des personnes tellement vicieuses. La pudeur, la chasteté, cela les fait rire !
    L'homme se tenait recroquevillé sur le siège du passager de la voiture de police. S'il avait pu se mettre à genoux, comme au confessionnal, il se serait senti plus à l'aise.
    —    Il y avait quelque chose de sexuel, fit Gagnon en baissant la voix sur le dernier mot.
    —    Oui, c'est ça. C'est ça.
    —    Qui? insista le policier. Le père? Un des fils? Je dois savoir qui exactement. Cessez de tourner autour du pot.
    —    Oh ! Tous, pour autant que je sache.
    Dans quelle mesure cet être veule projetait-il ses propres peurs, ou ses propres envies, dans ces accusations ?
    —    Et comment savez-vous cela? Blanche vous l'a dit?
    —    Pas à moi, à ma femme. C'est elle qui m'en a touché mot ensuite.
    —    Blanche a dit à votre femme qu'ils la violaient, tous les quatre ?
    Girard rougit jusqu'aux oreilles en entendant un mot aussi sale. Même en pensée, il n'utilisait jamais de termes aussi explicites. Il préférait les périphrases. Il s'efforça d'être plus clair :
    —    Elle ne l'a pas dit comme cela, bien sûr. Mais il lui arrivait de sonner à notre porte tard le soir, en pleurs et essoufflée d'avoir couru depuis Stadacona. Là, elle disait à ma femme qu'ils... qu'ils l'avaient touchée, qu'ils étaient venus dans sa chambre ou qu'ils l'avaient forcée à aller dans la leur. Comme elle s'enfermait avec ma femme, je n'entendais pas tout. Je saisissais quand même ce dont elles parlaient. Ensuite, ma femme me demandait de m'agenouiller avec elle et de
    prier pour la pauvre petite.
    Pour Girard, c'était là un très long discours, sur un sujet très désagréable. Il ne semblait pas enclin à continuer. De toute façon, que pouvait-il ajouter? Deux jeunes filles avaient été accueillies dans une famille de gens grossiers, ignares, avec une solide réputation de violence. N'étaient-elles pas des victimes toutes désignées? Un mélange de honte et de peur les incitait sans doute à se taire toutes les deux, la plupart du temps. Quand elles se plaignaient, du moins quand Blanche se plaignait, c'était à des gens timorés, faibles, incapables d'assurer sa protection. Edmond Girard ne pouvait faire le poids devant les quatre Germain, pas même devant un seul.
    Blanche ou même son oncle Edmond n'étaient pas venus à la police. Ces secrets gisaient dans les familles, soigneusement celés, niés si quelqu'un les évoquait, niés même dans le for intérieur de chacun, comme si ces choses n'existaient pas. Même si Blanche s'était présentée au poste pour le rencontrer, pour porter plainte, Gagnon n'aurait pas fait grand-chose. L'intimité familiale avait un caractère sacré. Le père de famille, le pater familias, avait un pouvoir presque absolu sur la maisonnée. Si un homme battait sa femme ou ses enfants, dans la maison, sans déranger les voisins, c'était une affaire privée, sans rapport avec l'ordre public, à moins que les effets ne soient absolument dramatiques : décès, blessures graves. Dans ces cas seulement la police faisait quelque chose.
    Ces réflexions plongeaient Gagnon dans un long silence. Edmond Girard attendit qu'il sorte de sa rêverie. Une première fois, il tenta un «Monsieur?» timide, à peine articulé. Il voyait sa femme, à la fenêtre de leur appartement, qui les surveillait tous les deux. Il toussa une ou deux fois et risqua encore, plus fort cette fois :
    — Monsieur l'officier, est-ce que c'est tout ?
    Gagnon sursauta, puis bougonna :
    — Merci... Merci d'avoir répondu à mes questions. Ne vous éloignez pas de Québec, je peux avoir besoin de vous parler.
    Girard, dont la vie entière s'était déroulée dans les rues des quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur, se demanda bien où l'autre imaginait qu'il pouvait aller.

Chapitre 4
    Tout sceptique qu'il fût sur les questions religieuses, le dimanche suivant Gagnon se trouvait à l'église Saint-Roch pour la grand-messe. S'il pouvait douter de Dieu impunément, c'était à la condition de ne pas le montrer. Les règles lui étaient familières: aller à l'église tous les dimanches, communier parfois, ne pas rater l'occasion de confesser quelques péchés imaginaires deux ou trois fois par année. Il gardait prudemment secrets ceux vraiment commis, mais il se faisait une liste plausible de fautes pour le

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