Haute-Ville, Basse-Ville
possibles pour en diminuer l'effet sur sa démarche.
Ils prirent place dans le véhicule stationné rue de la Couronne. Gagnon conclut tout de suite que ce n'était pas une bonne idée : avec ce soleil, sous leur feutre sombre, le cou serré par une cravate et portant un veston, la chaleur les accabla tout de suite. Le détective démarra en disant:
— Autant se trouver un coin à l'ombre.
Machinalement, il se dirigea vers les rives plus fraîches de
la rivière Saint-Charles. Grâce glissa :
— Mon avocat m'a dit que vous ne pouviez pas m'arrêter.
— Vous avez un avocat? répondit Gagnon, intrigué. Pourquoi donc ?
— C'est-à-dire... Comme vous avez interrogé Germaine, qu'elle vous a parlé de moi, je me suis dit que ce serait rapidement mon tour. J'ai voulu savoir ce qui risquait d'arriver... Je suis allé voir maître Lavigerie. Il est souvent question de lui dans L'Evénement. Ce journal insiste sur sa compétence.
« Cet énergumène de Lavigerie va faire quelques dollars facilement, se dit Gagnon, s'il pense seulement à les réclamer. »
En ouvrant la portière, il demanda :
— Si vous préférez, je peux vous poser mes questions devant lui. Nous pourrions même aller à son domicile tout de suite.
Les policiers se montraient rarement si accommodants quand il était question de la présence d'un avocat, mais Gagnon s'amusait à l'idée de gâcher le dimanche de l'une des vedettes des prétoires de Québec.
— Non, fit Grâce en rougissant. Selon lui cela fait partie du travail habituel du policier d'interroger les connaissances d'une victime d'un meurtre.
— Ah, il connaît bien notre travail, cet avocat ! blagua le policier.
Gagnon immobilisa son véhicule tout près du parc Victoria. Le choix de la destination n'était guère innocent. Il repoussa son chapeau en arrière sur son crâne, desserra un peu sa cravate, enleva son veston pour le jeter négligemment sur son épaule tout en marchant vers la rivière. N'ayant pas d'autre choix, Grâce lui emboîta le pas. Le policier s'arrêta sous un arbre, près de la rive. Il faisait presque frais à cet endroit. Il s'appuya sur le tronc, tout en demandant :
— Vous connaissiez Blanche Girard depuis longtemps ?
— Environ deux ans, fit l'autre après avoir dégluti.
Ça se passait ainsi, un interrogatoire. Son trac diminua un peu.
— Depuis qu'elle s'est jointe à la chorale, compléta-t-il.
Il regardait les buissons, pas très loin d'eux, là où avait été trouvé son corps.
— Saint-Roch, c'est pourtant loin de chez elle.
— Selon elle, cela lui donnait une occasion de sortir, Elle estimait que la chorale de sa paroisse ne valait rien. Mais, en fait, la présence de Germaine l'amenait là.
— C'étaient de grandes amies ?
— Oui, je suppose. En tout cas, Blanche se tenait toujours près d'elle lors des répétitions ou à l'église. Elles se voyaient aussi régulièrement ailleurs. Presque chaque jour, elle l'attendait à la fin de son travail pour jaser un peu.
— Vous aussi, vous voyiez Blanche assez souvent, je pense ?
— Non, pas vraiment.
Grâce rougissait, se troublait. Boutonné, cravaté, la sueur coulait sur son visage. La nervosité devait y être pour quelque chose, en plus de la canicule.
— Pourtant, vous êtes parfois allé la voir à son travail. Vous lui avez donné des photos. Vous n'étiez pas des amis ?
— Sans doute. Nous sommes tous des amis, à la chorale. Je lui apportais des feuilles de musique ou je venais lui dire quand des répétitions s'ajoutaient à l'horaire habituel. Ses parents n'ont pas le téléphone et moi, je travaille tout près, au magasin PAQUET, à la comptabilité. Alors je rendais service. Et puis comme je suis l'un des rares à la chorale à avoir un appareil Kodak, c'est moi qui prends les photos souvenirs. Je fais toujours finir des copies supplémentaires pour les personnes désireuses d'en avoir.
— Mais rien de plus ? J'avais eu l'impression que c'était votre petite amie.
— Non. Qui vous a dit cela ? Germaine ?
Grâce devenait très mal à l'aise.
— Vous avez une petite amie ?
Gagnon s'entêtait. Pourtant, quel intérêt cela pouvait-il avoir dans l'affaire Blanche Girard? Grâce se posait assurément la même question. C'était sa vie privée. Mais, dans une affaire de meurtre, peu de choses demeuraient privées. Il jetait des
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