Helvétie
journée de cérémonies, Fontsalte et Ribeyre s’empressèrent de rentrer chacun chez soi, pour passer des vêtements civils afin de pouvoir dîner en ville, voir Paris illuminé, avant d’aller danser dans un des salons où Ribeyre avait ses entrées. Ils se donnèrent rendez-vous boulevard des Italiens, au café Hardy, renommé pour la volaille en papillote et les andouilles aux truffes.
En arrivant à Paris, Blaise avait appris, par le général Ribeyre, les circonstances de l’assassinat de Kléber, le 14 juin, en Égypte, jour de la mort de Desaix, au cours de la bataille de Marengo. Ainsi, la mort avait fauché deux généraux fameux le même jour. Au cours du dîner, ce soir-là, Ribeyre révéla que l’assassin du général, Soleyman-el-Halepi, un jeune fanatique, avait été pris et empalé. Il ajouta qu’il existait aussi des fanatiques en France, ce qui était fort préoccupant pour la sécurité du Premier consul. L’enthousiasme populaire perçu au cours de la journée ne devait pas dissimuler qu’il fallait tenir compte de deux oppositions souterraines et déterminées. La première, soutenue par les émigrés, et sans doute par les Impériaux, considérait la défaite des Autrichiens en Italie comme un nouvel obstacle à la restauration en France de la monarchie. La seconde estimait que le Consulat trahissait l’idéal révolutionnaire. Chouans irréductibles et anarchistes de taverne, nobles félons et révolutionnaires évincés ne rêvaient que supprimer Bonaparte, le nouveau phare de la patrie. Tous ces assassins en puissance servaient, sans même s’en douter, les jacobins ambitieux. La trahison rampait dans les allées du pouvoir. Aux Affaires secrètes, on était bien informé et Ribeyre le démontra.
– Pendant que nous étions en Italie, le bruit courut au Sénat de la mort d’un général à Marengo. Ceux qui prenaient leur désir pour réalité murmurèrent le nom de Bonaparte. C’est Desaix qu’il eût fallu dire. Aussitôt, certains membres du gouvernement, et non des moindres, qui avaient misé sur l’échec de la campagne d’Italie, se concertèrent pour assurer, par un comité de salut public, la succession de Bonaparte. Des noms circulèrent : Bernadotte, La Fayette, Clément de Rys. On parla aussi de Pichegru, de Carnot et, même, du duc d’Orléans 8 , ce qui fit sursauter plus d’un. Les royalistes, en relation avec Louis XVIII, prévoyaient une série d’insurrections à Bordeaux, Toulouse et Lyon. Ils auraient attendu, pour lancer le soulèvement, l’arrivée en France du duc de Berry, qu’un bateau anglais aurait transporté en Provence. Bien que la surveillance de ces gens relève de la police de Fouché, nous devons ouvrir l’œil. Il faut aussi savoir que le Premier consul n’a pas une confiance totale dans son ministre de la Police. Il considère que seuls sa garde et notre service sont sincèrement dévoués à sa personne. Voilà pourquoi je vous informe de l’existence de ces comploteurs. Bonaparte va, dans les prochains jours, affirmer son autorité, régler la situation avec Rome et clore la liste des émigrés, ce qui ne plaira pas à tout le monde. Il demande à ses fidèles de veiller.
– J’en suis, comme vous, général, non par crédulité ou débordante affection, mais parce que Bonaparte est, je crois, le seul qui puisse rendre au pays son équilibre interne, assurer sa sécurité et donner confiance au peuple. C’est un homme d’imagination, de courage et de volonté. Je sais que certains voient en lui un futur dictateur. Peut-être en est-il un, au sens romain du terme. Mais le pays ne retrouvera pas de discipline administrative, de prospérité commerciale et une santé morale sans autorité. Et puis, ce qui me plaît, c’est son idée de ne faire la guerre qu’à la guerre, de garantir aux peuples liberté, respect, indépendance. De prôner, partout, l’avancement des lumières et du progrès. Je crois que faire l’Europe est sa grande passion. Il y a chez ce roturier une noble intransigeance, une sorte d’insouciance aristocratique de déplaire. Bref, général, il me plaît de le servir !
L’enthousiasme de Fontsalte amena un sourire sous la moustache de Ribeyre.
– Nous le servirons tant que nos consciences admettront qu’il sert lui-même la France éternelle, celle qui survit aux rois et aux républiques. Vos ancêtres, comme les miens, cher Fontsalte, n’ont jamais pris d’autre
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